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Full text of "Éloge de J.-D. Larrey"

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lu  à la  séance  annuelle  de  l'Académie  royale  de  Médecine,  le  25  novembre  1845. 

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Lorsque  j’eus  riionneur  de  prononcer  devant  vous  1 éloge  de  Desge- 
nettés,  je  disais  qitè,  sous  une  plume  éloquente,  cet  éloge  eût  aisément 
pris  le  mouvement  et  léclat  d un  poème  héroïque  (i).  -I  oseiai  dite  au- 
jourd’hui que,  dans  la  bouche  d’un  Bossuet  ou  d un  Héchier,  1 éloge  que 
vous  allez  entendre  s’élèverait  comme  de  lui-même  à la  dignité  sainte 
d’une  oraison  funèbre.  Lai  médecine  a ses  martyrs  et  ses  gloires  comme 
la  rfelicion:  et  si  vous  remettez  un  moment  dans  vos  esprits  les  nobles 

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(1)  Mémoires  de.  /'Académie  royale  de  médecine,  t.  VII  » p.  111- 

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T.  XII.  u 


n ÉLOGE 

qualités  qui  forment  le  chirurgien  militaire,  la  patience  et  le  courage,  la 
douceur  et  la  fermeté,  la  pitié  la  plus  tendre  et  la  sévérité  la  plus  inflexi- 
ble, une  vigilance  infatigable,  un  entier  oubli  de  soi-même,  un  dévoue- 
ment absolu  pour  les  malheureux;  et,  lorsqu’il  faut  secourir  la  souffrance, 
réparer  les  ruines  dune  organisation  mutilee,  et  îallumci  une  vie  pies 
de  s ‘éteindre,  un  génie  inventif,  dont  les  soudaines  inspirations  mettent, 
pour  ainsi  dire,  entre  les  mains  desressouicesinespcices,  et  despioccdes 
où  la  hardiesse  est  tempérée  par  la  prudence,  et  l’audace  par  le  sang- 
froid  ; si,  dis-je,  vous  rassemblez  toutes  les  parties  de  ce  tableau,  et  si  ce 
tableau  s’achève  dans  votre  pensée,  cherchez  s’il  est  une  seule  de  ces 
vertus  de  l’ame,  s’il  est  un  seul  de  ces  talents  de  l’esprit,  qui  ait  manqué  à 
l’homme  dont  je  dois  vous  entretenir,  à l’un  des  plus  illustres  membres  de 
votre  compagnie,  à Jean-Dominique  Larrey.  Du  reste,  messieurs,  vous 
le  savez,  ce  n’est  pas  dans  un  seul  lieu,  ce  n’est  pas  dans  le  paisible  cours 
d’une  vie  tranquille  et  uniforme,  qu’il  a déployé  des  qualités  si  rares;  il 
les  a signalées  dans  toutes  les  parties  du  monde,  sur  les  mers  et  dans  l’hor- 
reur des  tempêtes,  sur  les  continents  et  dans  le  fracas  des  batailles;  il  les 
a portées  partout  avec  lui,  à travers  toutes  les  vicissitudes  de  la  vie  la  plus 
agitée,  d’une  vie  rudement  éprouvée  par  la  fatigue,  la  faim,  la  soif,  par 
les  ardeurs  du  Midi,  parles  frimas  du  Nord,  et  dans  ces  extrémités  éga- 
lement cruelles,  toujours-  semblable  à lui-même,  toujours  plein  d’éner- 
gie et  d’humanité.  Critiques  vulgaires,  n’ayez  pas  le  lâche  et  honteux  cou- 
rage de  relever  dans  les  écrits  d’un  tel  homme  quelques  méprises  de 
noms,  quelques  erreurs  de  temps  ou  de  lieux,  quelques  théories  impar- 
faites sur  les  phénomènes  les  plus  impénétrables  de  notre  économie.  Sa- 
chez que  des  taches  si  légères  sont  effacées  par  l’éclat  de  ses  actions,  et 
que  ce  sont  ses  actions  qui  ont  consacré  pour  jamais  sa  mémoire.  On 
n oubliera  jamais  que,  non  moins  intrépide  que  le  soldat  dont  il  parta- 
geait les  destinées,  il  s’est  plus  d’une  fois  précipité  sous  le  feu  des  canons 
ennemis,  dans  des  grêles  de  balles  et  de  mitraille,  pour  arracher  à la 
mort  les  glorieuses  mais  déplorables  victimes  de  nos  tristes  guerres: 
que,  pour  les  panser  et  pour  les  nourrir,  il  leur  a fait  plus  d’une  fois 
abandon  de  ses  vêlements,  de  son  linge,  de  ses  propres  vivres;  et  que, 
plus  d’une  lois,  entouré  par  des  milliers  de  plaies  effroyables,  de  ces  énor- 
mes plaies  du  boulet  et  de  l’arme  blanche,  on  l’a  vu  soutenir  pendant 
trente  heures,  sans  repos,  sans  nourriture,  le  pénible  soin  de  remédier 
à tant  de  maux;  lasser  par  ses  efforts  ceux  de  ses  auxiliaires  les  plus  vi- 


DE  J.-D.  LARREY. 


III 


goureux,  Jes  plus  patients,  les  plus  résolus;  et,  tout  trempé  de  sueur  et 
couvert  de  sang,  n abandonner  enfin  ce  grand  travail  qu'a  près  le  panse- 
ment complet  du  dernier  blessé.  En  déserter  un  seul  eût  été  pour  lui  pire 
que  la  mort.  Voilà  ce  qu’a  fait  Larrey  pendant  les  vingt-deux  années  d’une 
guerre  sans  exemple  dans  les  annales  du  monde  ; voilà  ce  qu’il  a fait,  les 
années  suivantes,  dans  le  service  des  hôpitaux  militaires  : service  où  ne 
se  représentent  que  trop  souvent,  même  eu  pleine  paix,  des  accidents 
non  moins  désastreux  qu’à  la  guerre.  Voilà  aussi,  messieurs,  ce  qui  doit 
être  l’éternel  objet  de  vos  hommages.  Y substituer  dans  nos  souvenirs  de 
vaines  et  puériles  remarques  serait  un  sacrilège  et  une  impiété.  Mais  il 
est  temps  d’entrer  dans  les  détails  d’une  vie  que  toutes  les  nations  ont 
honorée,  et  qui  a été  pour  la  chirurgie  française,  que  dis-je?  pour  la 
France  elle-même,  un  des  plus  glorieux  ornements. 

Jean-Dominique  Larrey  naquit  en  1766  à Baudéan,  village  de  la  vallée 
de  Campau,  aux  pieds  des  Hautes-Pyrénées.  Ses  Mémoires  n’apprennent 
rien  sur  sa  famille  ni  sur  sa  première  éducation.  A treize  ans,  il  fut  envoyé 
à Toulouse,  où  l’un  de  ses  oncles,  Alexis  Larrey,  était  chirurgien-major 
et  professeur  du  Grand-Hôpital.  Cet  oncle  [lui  fit  faire  ses  études  au 
collège  de  l’Esquille,  et  le  mit  ensuite  au  nombre  des  élèves  auxquels  il 
euseignaitla  médecine.  On  a vu  dans  l’éloge  d’Esquirol  à combien  de  tra- 
vaux divers  et  avec  quels  succès  étaient  appliqués  ces  élèves  (1).  En  1 787, 
Larrey  vint  à Paris.  Il  apprend  à son  arrivée  qu’un  concours  est  ouvert 
pour  des  places  de  chirurgiens  de  la  marine.  Entraîné  par  son  instinct 
pour  les  voyages,  il  concourt,  il  est  nommé,  il  se  rend  à Brest.  Chemin 
faisant,  il  salue  à la  Trappe  le  tombeau  d’Adélaïde  et  du  comte  de  Coin- 
minges;  à Laval,  l’humble  demeure  où  Ambroise  Paré  vint  au  monde.  A 
Brest,  après  deux  examens,  les  officiers  de  santé  en  chef  de  la  marine  le 
nomment  chirurgien-major  des  vaisseaux  du  roi;  faisant  en  cela  violence 
à 1 usage,  car  Larrey  n’avait  pas  vingt  et  un  ans,  et  n’avait  pas  navigué. 

On  préparait  une  expédition  cpie  des  raisons  politiques  firent  contre- 
mander.  On  licencia  la  plupart  des  nouveaux  chirurgiens.  Larrey  lut  du 
petit  nombre  de  ceux  que  l’on  conserva.  Il  eut  ordre  de  s’embarquer, 
en  sa  qualité  de  chirurgien-major,  sur  la  Vigilante,  frégate  qui  allait,  à 
1 île  de  l erre-Neuve,  protéger  la  pêche  de  la  morue.  Ici,  tout  est  nouveau 
pour  Larrey,  même  dans  son  service.  Néanmoins  tout  fut  prévu,  réglé, 

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(1)  Mémoires  de  l Académie  royale  de  médecine,  t.  Xt,  [).  xxxiu. 


jY  ÉLOGL 

conduit,  comme  l’eût  fait  une  expérience  consommée.  C’est  quel  activité 
de  l’esprit  supplée  à tout.  Dans  le  récit  qu  il  a lait  de  cette  première 
campagne,  vous  trouvez  de  curieuses  observations  de  medecine,  dhis— 
toire  naturelle  et  de  climatologie;  des  infortunes  de  pauvres  naufragés, 
touchantes  comme  les  épisodes  de  1 () tli/ss&c , et  dans  les  sauvages  de  ccs 
âpres  régions,  des  traits  d’humanité  qui  feraient  honneur  aux  peuples  les 
plus  polis.  Parti  de  Brest  en  avril,  Larrey  y rentra  en  octobre;  et  pen- 
dant ces  six  mois  passés  sous  le  ciel  le  plus  inégal,  et  malgré  la  gravité 
des  maladies  aiguës  ou  chroniques  dont  fut  affligée  plus  de  la  moitié  de 
l’équipage,  sur  quatre-vingts  personnes,  Larrey  n’eut  à regretter  aucune 
perte.  La  frégate  désarmée,  Larrey  fut  libre,  et  revint  à Paris. 

On  entrait  dans  le  grand  hiver  de  1789,  et  tout  ensemble  dans  nos 
calamités  politiques.  Cette  année,  et  les  deux  années  suivantes,  Larrey 
suivit,  sous  l’illustre  Desault  et  l’illustre  Sabatier,  le  traitement  des  pre- 
mières victimes  de  nos  discordes.  Bientôt  s’alluma  cette  guerre  dont  les 
feux  ont,  pendant  plus  de  vingt  ans,  embrasé  l'Europe  et  troublé  toutes 
les  parties  du  monde.  Le  1er  avril  1792,  Larrey  était  à Strasbourg  avec 
les  fonctions  de  chirurgien-major  des  hôpitaux  de  l’armée  du  Rhin.  Dès 
les  premiers  pas,  c’est-à-dire  dès  les  premières  victoires  de  cette  valeu- 
reuse armée,  Larrey  fut  frappé  de  1 imperfection  du  service  chirurgical. 
C’est  à une  lieue  du  champ  de  bataille  que  se  tenaient  les  ambulances. 
La  bataille  terminée,  ces  ambulances  rencontraient  dans  leurs  mouve- 
ments des  milliers  d’obstacles,  et  vingt-quatre,  trente,  trente-six  heures 
s’écoulaient  avant  que  le  blessé  reçût  aucun  secours:  abandon  cruel,  et 
plus  meurtrier  que  le  fer  même  de  l’ennemi.  Saisi  de  pitié,  Larrey  conçut 
le  dessein  d’une  ambulance  aussi  légère,  aussi  mobile,  aussi  rapide  que 
l’artillerie  volante.  Quelques  essais  portèrent  cette  ambulance  à sa  per- 
fection. Elle  fit  sur  lame  du  soldat  la  même  impression  que  fit  autrefois 
sur  toute  une  armée  la  seule  présence  d’Ambroise  Paré.' Sûr  d’être  promp- 
tement secouru,  le  soldat  se  crut  invincible;  et  plus  d’une  fois  Larrey  a 
recueilli  lui-même  les  heureux  fruits  de  sa  belle  invention.  Dans  l’exposé 
de  la  grande  bataille  livrée  le  22  juillet  1793  pour  dégager  Landau  et 
Mayence,  le  successeur  de  Custine,  Beauharnais,  se  plaît  à relever  les  ser- 
vices éminents  de  l’ambulance,  ainsi  que  les  infatigables  soins  de  son  au- 
teur; et  cette  justice  que  le  général  victorieux  rend  à Larrey,  Larrey  la 
rend  à son  tour  au  zèle  de  ses  collaborateurs,  aux  lumières  du  médecin 
en  chef  Lorentz,  aux  talents  de  ses  collègues  Percy  et  Lombard,  qui  cou- 


I)E  J.-D.  LAltREY. 


V 


couraient  avec  lui  au  bien-être  de  l’année  e*L  à la  conservation  des  bles- 
sés. Au  mois  d’avril  suivant,  Larrey  reçut  l'ordre  de  se  rendre  à Paris 
pour  organiser  des  ambulances  sur  le  modèle  de  la  sienne,  et  les  établir 
dans  les  autres  armées,  car  la  France  eu  avail  alors  quatorze. 

Mais  la  Corse  était  depuis  un  an  dans  la  main  des  Anglais.  Pour  la  leur 
arracher,  on  levait  une  armée  dans  le  Midi.  Larrey  u’eut  pas  le  temps 
de  songer  à ses  ambulances.  On  le  fit  partir  pour  Toulon,  avec  le  titre 
de  chirurgien  en  chef  de  cette  nouvelle  armée.  Une  Hotte  l’attendait  à 
Nice,  où  elle  avait  pris  des  troupes  de  débarquement.  Bloquée  dans  le 
port  par  une  flotte  ennemie,  elle  ne  put  mettre  à la  voile,  et  l’expédition 
fut  abandonnée.  Appelé  à l’armée  des  Pyrénées-Orientales,  Larrey  se 
rend  en  Catalogne.  Il  assiste  à la  prise  de  Figuièrcs,  à la  mort  de  Dugom- 
micr,  au  siège  et  la  presque  destruction  de  Poses,  mal  défendue  par  ses 
rochers  et  par  les  rigueurs  de  l’hiver.  Les  combats,  les  assauts,  la  terrible 
explosion  des  redoutes  espagnoles,  et  le  froid  lui-même,  produisirent  des 
morts,  des  brûlures,  des  gangrènes  et  des  plaies  à profusion.  Une  seule 
journée  de  cette  courte  guerre  en  donna  près  de  700,  dont  200  très 
graves.  Dans  les  douze  premières  heures,  opérations  et  pansements,  tout 
fut  achevé  par  Larrey,  secondé  de  quelques  aides.  La  paix  laite  avec 
1 Espagne,  il  court  à Paris,  respirer  un  moment  dans  le  sein  de  sa  famille 
et  refaire  sa  santé  délabrée.  Mais  un  nouvel  ordre  le  renvoie  pour  la 
troisième  fois  à Toulon;  et , dans  les  loisirs  que  lui  laissait  la  lenteur  des 
préparatifs  militaires,  il  fit,  à la  sollicitation  d’un  grand  nombre  de  chi- 
rurgiens de  terre  et  de  mer,  il  fit  ce  qu’il  a fait  partout,  des  leçons  d’ana- 
tomie et  de  chirurgie  théorique  et  pratique; leçons  qu  il  éclairait  parties 
expériences  sur  des  animaux  vivants;  ne  refusant,  du  reste,  ses  services  à 
personne,  et  s’appliquant  chaque  jour  à étendre  ses  connaissances  : car, 
je  le  déclare  une  fois  pour  toutes,  dans  quelque  situation  qu’il  se  trouvât, 
jamais  Larrey  ne  perdait  l’occasion  de  voir  et  d’observer,  ni  même  de 
communiquer  ce  qu’il  avait  appris. 

Mais,  professeur  volontaire  à Toulon,  il  le  fut  bientôt  d’office  à Paris. 
On  venait  de  créer  au  Val-dc-Grâce  nue  école  de  médecine  militaire.  Il 
y fut  appelé  pour  occuper  une  chaire.  Il  se  proposait,  avec  scs  collègues 
Dufouard,  Chayron,  Desgenettes,  de  donner  à l’enseignement  une  étendue 
illimitée,  et  de  faire  de  l’école  une  véritable  académie.  Vain  espoir!  La 
dui’ée  de  ses  cours  fut  à peine  de  deux  années.  Encore  fut-il  contraint 
de  les  interrompre  pour  une  course  à l’armée  d’Italie,  où  l’on  voulait  des 


V1  ÉLOGE 

ambulances  volantes.  On  les  voulait  apparemment  pour  l’avenir,  ou  pour 
des  entreprises  ultérieures;  car,  en  Italie,  il  n’y  avait  plus  de  guerre.  Par 
la  destruction  de  cinq  années  formidables,  les  meilleures  de  1 Empiie, 
et  sous  les  plus  habiles  généraux  ; par  la  prise  de  Mantoue,  l’anéantisse- 
ment de  l’oligarchie  vénitienne,  la  soumission  de  Rome  et  la  répression 
des  révoltes,  le  génie  de  Bonaparte  avait,  en  deux  campagnes,  mis  sous 
les  pieds  de  la  France  cette  belle  partie  de  l’Europe.  Toutefois,  Larrey 
parcourt  les  principales  villes  de  la  Haute-Italie,  visite  les  hôpitaux,  y in- 
troduit des  améliorations,  propose  surtout  d’y  attacher  des  écoles  d’ana- 
tomie et  de  chirurgie,  forme  des  ambulances,  les  fait  manœuvrer  sous  les 
yeux  du  général,  qui  s’en  montre  satisfait;  en  établit  trois  pour  les  trois 
divisions  de  l’armée;  règle  le  traitement,de  quelques  typhus  et  d’une  épi- 
zootie cruelle;  a le  singulier  bonheur  de  voyager  avec  Desaix,  et  de  voir 
à Pavie  Spallanzani  et  Scarpa,  comme  il  avait  vu  à Mayence  Starck  et 
Sœmmerring;  rend  compte  à Milan  de  sa  mission,  et,  comblé  de  marques 
de  satisfaction,  revient  à Paris  renouer  son  enseignement.  Presque  aussi- 
tôt il  est  mandé  à l’armée  d’Angleterre.  J’insiste  sur  cette  succession  de 
déplacements  presque  instantanés,  parce  quelle  fait  voir  quel  était  le 
rapide  mouvement  qui,  dans  ces  temps  de  gloire  et  de  malheur,  empor- 
tait çà  et  là  les  hommes  et  les  choses. 

Mais,  au  centre  même  de  ce  tourbillon,  un  grand  dessein  s était  formé. 
Bonaparte  avait  depuis  longtemps  les  yeux  sur  l’Orient.  J ai  essayé  dans 
l’éloge  de  Desgenettes  de  montrer  par  quelle  série  de  sentiments  et 
d’idées  Bonaparte,  froid  et  recueilli  dans  l’éblouissement  de  ses  vic- 
toires , faisait  de  la  conquête  de  l’Égypte  l’objet  constant  de  ses  médita- 
tions favorites.  Il  voyait  dans  cette  conquête  l’empire  de  la  Méditerranée 
pour  la  France  et  l’équivalent  de  toutes  les  colonies  quelle  avait  per- 
dues. Il  y voyait  pour  lui-même  un  vaste  champ,  où  il  allait  déployer 
sans  obstacles  l’esprit  créateur  dont  il  se  sentait  aninlé.  Sans  obstacle, 
ai-je  dit;  car  en  portant  la  civilisation  dans  le  sein  même  de  la  barbarie, 
il  se  flattait  de  soumettre  toutes  les  volontés,  moins  par  la  terreur  de  ses 
armes  que  parla  persuasion  et  l’intérêt;  par  la  modération  et  la  justice  de 
ses  actes  ; par  une  protection  et  des  bienfaits  de  tous  les  instants;  par  le 
respect  le  plus  inviolable  pour  les  moeurs,  la  religion,  les  habitudes.  A 
l’égard  des  obstacles  plus  éloignés  que  lui  susciterait  la  jalousie  des  na- 
tions , il  en  appelait  à sa  vigilance,  à sa  fortune,  à la  victoire.  En  un  mot, 
il  allait  changer  la  face  de  l’Orient,  ranimer  les  sciences  dans  leur  ber- 


DE  J.-D.  LA'RREY. 


VII 


ceau  originel , y réveiller  tous  les  arts  utiles , donner  au  monde  l’exemple 
unique  d’un  pouvoir  fondé  sur  la  force  et  l’équité,  et  réaliser  ainsi,  je 
ne  dis  pas  les  projets  de  Sanuto  , de  Ximeuès  ou  de  Leibnitz,  mais  ceux 
mêmes  d’Alexandre  , et  se  faire  une  gloire  supérieure  à la  sienne  ; car 
Alexandre  était  né  roi,  et  son  père  lui  avait  mis  dans  la  main  toute  la 
Macédoine  et  toute  la  Grèce. 

Vous  savez,  messieurs,  avec  quel  art  profond,  avec  quelle  maturité 
cette  grande  expédition  fut  préparée,  avec  quel  empressement  elle  fut 
favorisée  par  le  Directoire,  avec  quelle  fidélité  le  secret  en  fut  dérobé  à 
l’inquiète  curiosité  de  toute  l’Europe.  Vous  savez  aussi  que,  comme 
Alexandre,  Bonaparte  marchait  avec  la  Macédoine  et  la  Grèce,  je  veux 
dire  avec  la  force,  le  courage  et  le  savoir,  qui  montèrent  avec  lui  sur  la 
flotte.  Larrey  avait  été  mandé  à l’armée  d’Aqgleterre  ; c’était  l’être  à 
l’armée  d’Orient.  Il  vole  à Toulon.  Médicaments,  linge , instruments, 
tout  ce  que  demandent  les  nécessités  de  la  guerre , tout  est  réuni  par  ses 
soins,  tout  est  mis  en  caisse  et  embarqué.  Des  chirurgiens  manquent.  Il 
en  demande  de  partout.  Montpellier,  'Toulouse,  l’Italie,  lui  en  envoient 
cent  huit,  tous  jeunes  geus,  tous  instruits,  tous  pleins  de  courage  et  de 
résolution.  Il  les  distribue  sur  les  vaisseaux.  Enfin,  le  i3  mai  1796,  la 
flotte  lève  l’ancre  ; elle  paraît  sur  la  mer,  elle  marche  ; et,  ralliant  à me- 
sure quelle  avance  des  vaisseaux  partis  de  Bastia,  de  Gênes,  de  Civita- 
Vecchia,  elle  arrive  complète,  le  9 juin,  sous  l’île  de  Goze  , elle  10  de- 
vant Malte.  Elle  demande  de  l’eau.  Malte  conteste,  est  menacée , s’épou- 
vante et  se  rend.  En  neuf  jours  tout  y est  changé.  Le  19  juin  la  flotte 
reprend  la  mer;  elle  est  le  28  devant  la  terre  basse  de  l’Egypte.  L’armée 
débarque.  Le  3 juillet , Alexandrie  est  prise.  Le  6,  Bonaparte  marche  sur 
le  Caire.  Ce  feu  d’action,  qui  se  répandait  dans  toute  l’armée,  était  soh 
arme  la  plus  redoutable.  Larrey  avait  la  même  ardeur.  En  courant  sur 
les  pas  du  général,  d’Alexandrie  au  Caire,  du  Caire  à Suez,  de  Suez  à 
Saléhieh,  el-Arisch,  Gaza,  Jaffa,  Saint-Jean-d’Acre  , Nazareth,  dans  la 
funeste  expédition  de  Syrie,  et,  après  sa  rentrée  en  Egypte  , d’Aboukir 
à Héliopolis,  Larrey  semblait  créer  d’une  parole  des  ambulances,  des 
hôpitaux,  des  appareils,  des  écoles  et  des  cours  de  chirurgie  militaire; 
s arrêtant  sur  des  champs  de  bataille  tout  fumants  de  carnage,  ou  se  jetant 
sous  le  coup  même  qui  venait  de  frapper  Caffarelli,  Lannes , Arrighi , 
Beauharnais  et  tant  d’autres;  s identifiant  avec  toutes  les  douleurs  pour 
en  assoupir  la  violence  par  de  doux  pansements,  pour  en  abréger  la 


VIII  ÉLOGE 

durée  par  ces  grandes  opérations  dont  la  seule  image  effraie,  et  que  la  gra- 
vité du  mal  ne  permet  pas  de  différer;  enfin  pour  en  adoucir  1 amertume 
aux  braves  soldats,  aux  braves  généraux  dont  il  recevait  les  derniers 
soupirs  ; tellement  menacé  lui-même  qu’il  voyait  tomber  autour  de  lui  ses 
collaborateurs,  je  dirai  mieux,  ses  émules  de  courage  et  d’humanité; 
ayant  à lutter  d’ailleurs  contre  toutes  les  privations,  contre  un  ciel  de 
feu,  contre  des  vents  meurtriers,  contre  la  plus  insidieuse  et  la  plus  cruelle 
des  maladies,  contre  la  peste;  la  peste  qu’il  rencontrait  partout,  et  qui , 
se  glissant  par  mille  voies  inconnues  jusque  dans  le  sein  des  hôpitaux, 
donnait  la  mort  aux  malheureux  que  ses  habiles  mains  avaient  sauvés. 
Ici , messieurs,  que  chacun  de  nous  s’interroge;  que  chacun  de  nous  se 
transporte  un  moment  dans  ce  torrent  de  périls,  de  désastres  et  de  gloire; 
et  que,  l’esprit  chargé  de  soucis,  le  cœur  navré  de  tristesse,  le  corps  brisé 
de  fatigue,  il  se  demande  s’il  aurait  eu  le  temps,  la  force,  la  volonté  de 
suffire,  comme  Larrey,  à une  vaste  correspondance;  de  rédiger,  comme 
lui,  des  instructions;  d’étudier,  comme  lui,  des  maladies  qui  pouvaient 
lui  rester  étrangères;  d’écrire,  comme  lui,  de  savantes  remarques  sur 
l’hépatitis,  la  lèpre,  l’éléphantiasis,  le  sarcocèle,  la  syphilis,  si  répandue 
et  en  général  si  bénigne  en  Egypte;  sur  le  scorbut  et  l’ophlhalmie  ; sur 
une  sorte  de  fièvre  jaune  si  semblable  à celle  des  Antilles,  et  pourtant  si 
différente;  sur  le  danger  des  petites  sangsues  que  le  soldat  avale  en  se 
désaltérant,  et  qui,  implantées  sur  un  point  du  pharynx  ou  des  fosses 
nasales,  échappent  à la  vue,  et  causent  des  hémorrhagies  quelquefois 
mortelles?  Enfin  , qui  de  nous  aurait  eu,  comme  lui,  la  patience  de  re- 
cueillir sur  tant  de  maladies  si  diverses  cette  longue  suite  d’observations 
individuelles  que  l’on  rencontre  , pour  ainsi  dire,  à chaque  page  de  ses 
Mémoires?  Et  cependant,  là  ne  s’arrêtent  point  les  vues  de'  Larrey;  il 
les  porte  sur  une  infinité  d’objets  qui  intéressent  les  arts,  les  sciences,  la 
philosophie  : par  exemple,  sur  l’incubation  artificielle,  pratique  dont 
I invention  se  perd  dans  l’obscurité  des  premiers  temps;  sur  la  médecine 
actuelle  des  Egyptiens,  laquelle  n’est  pas  même  l’ombre  de  l’ancienne 
médecine;  sur  la  variole  et  l’inoculation;  sur  la  circoncision,  l’infibula- 
tion , et  cette  sorte  de  suture  par  laquelle  la  plus  barbare  des  passions, 
la  jalousie , terme  chez  les  jeunes  filles  l’entrée  des  organes  sexuels  ; sur  la 
population  de  1 Egypte  , c’est-à-dire  sur  les  races  très  diverses  dont  elle 
est  composée  , et  qui  en  sont  comme  la  vivante  histoire;  sur  l usage  des 
bains,  si  favorable  à la  fécondité  des  femmes;  sur  l’état  des  momies,  la 


DU  J.-D.  LARREY. 


IX 


division  de  l’année,  l'agriculture,  et  quelques  points  delà  botanique  et 
de  l'histoire  naturelle.  Il  termine  par  la  peinture  de  l'Égypte,  lorsqu’à 
l’ouverture  de  la  troisième  année  de  leur  séjour,  les  Français,  paisibles 
possesseurs,  après  tant  de  victoires  de  celte  contrée  magnifique,  s’appli- 
quaient chaque  jour  à la  rendre  plus  belle  , plus  riche  et  plus  facile  à 
défendre,  en  améliorant,  eu  décorant  l'intérieur  des  villes,  en  établis- 
sant des  voies  de  communication  , en  nettoyant  les  ports  de  mer,  en  éle- 
vant des  manufactures  et  des  forteresses;  infaillibles  gages  de  grandeur 
et  d’opulence  qui  eussent  tourné  à la  félicité  de  tout  le  genre  humain; 
chef-d’œuvre  de  sagesse  que  nous  eût  envié  la  sublime  philosophie  des 
Grecs.  Mais  sur  l'horizon  qui  l'environne,  au  nord,  à l’est,  au  midi, 
s'élèvent  des  nuées  qui  apportent  la  guerre  et  la  destruction.  Veuve  de 
ses  premiers  généraux , l’armée  en  les  perdant  a perdu  sa  fortune.  Les 
triomphes  fout  place  aux  revers,  et  aux  revers  les  plus  cruels.  Séparée 
d’avec  elle-même,  affaiblie,  défaite  par  l’ophtbalmie,  par  le  scorbut, 
par  la  peste  , avant  d’être  même  entamée  par  l’ennemi,  l’armée  précipi- 
tant sa  perte  par  sa  bravoure,  et  traînée  dans  son  propre  sang  jusqu’aux 
vaisseaux  qui  l’attendent,  l’année,  désormais  sans  espoir,  consent  à re- 
tourner en  France.  Toujours  digne  d’elle  et  de  lui-même , dans  ce  grand 
désordre,  Larrey  en  accompagne  les  tristes  débris.  Tous  saluent  d’un 
adieu  de  douleur  les  rivages  de  cette  brillante  contrée  qui  semble  s’éloi- 
gner d’eux  pour  jamais  ; de  cette  contrée  qu’ils  aimaient  déjà  comme 
une  seconde  patrie,  et  qui  leur  est  arrachée  au  moment  où  elle  allait 
devenir  dans  leurs  mains  la  région  la  plus  délicieuse  de  la  terre.  Ainsi 
s’évanouit  ce  rêve  du  génie  , auquel  allaient  succéder  d’autres  rêves  en- 
core plus  grands  peut-être,  et  d'un  réveil  encore  plus  funeste. 

A son  arrivée  à Marseille,  Larrey  reçut  la  plus  touchante  récompense, 
et  la  seule  consolation  que  son  cœur  pût  goûter.  Toute  l’armée,  jointe  à> 
ses  confrères , vint,  par  des  acclamations  unanimes,  honorer  son  courage 
et  ses  services.  Le  gouvernement  consulaire  était  formé;  ce  gouvernement 


.avait  une  garde.  Larrey  dans  son  absence  en  avait  été  nommé  chirurgien 
eu  chef.  11  l’apprit  par  les  lettres  flatteuses  que  lui  adressait  le  ministre 
de  la  guerre,  Alexandre  Berthier.  Rendu  à Paris,  et  favorablement  ac- 
cueilli par  le  premier  consul,  Larrey  prend  son  service,  compose  sa 
Relation  chirurgicale  clé  l'armée  <1  Orient , ouvre  des  cours  de  chirurgie 
militaire  expérimentale  , songe  à satisfaire  à la  nouvelle  loi  sur  la  méde- 
cine; et  le  to  mars  i8o3,  sous  la  présidence  de  son  vénérable  maître, 

T.  XII.  ' b 


ÉLOGE 


l’illustre  Sabatier,  il  soutint  à l’École  de  médecine  sa  thèse  inaugurale 
sur  les  amputations,  thèse  qu’il  a refondue  plus  tard  dans  unJYIémoire 
général,  et  tel  que  le  voulait  une  expérience  plus  étendue,  mais  qui 
alors  eut  les  suffrages  de  ses  maîtres,  et  lui  mérita  le  titre  de  docteur 
en  chirurgie.  Larrey  est  le  premier  de  nos  temps  modernes  à qui  ce  titre 


ait  été  déféré. 

Ce  serait  ici,  messieurs,  le  lieu  de  vous  parler  de  nos  changements 
politiques,  et  de  la  puissance  de  ce  principe  d’unité  qui,  n’étant  pas 
dans  nos  esprits,  était  dans  nos  moeurs,  et  nous  ramenait  de  vive  force  à 
la  forme  du  gouvernement  que  nos  témérités  avaient  proscrite,  et  que 
nos  anarchies  rendaient  de  plus  en  plus  nécessaire.  La  république  fut  pro- 
scrite à son  tour.  Des  millions  de  suffrages  élevèrent  le  premier  consul  à la 
dignité  d’empereur;  et  voyez  les  suites.  Un  empereur,  un  chef  militaire 
d’une  nation  belliqueuse;  une  nation  enivrée  de  ses  triomphes,  et  chaque 
jour  plus  éprise  de  la  dangereuse  gloire  des  batailles:  qu’est-ce  que  tout 
celaPCen’est  plus  une  nation;  ce  n’est  plus  qu’une  masse  de  soldats,  ce  n’est 
plus  qu’un  régiment  armé  contre  l’Europe,  ou  plutôt  contre  le  monde,  et 
conduit  par  un  capitaine  habile,  intempérant  de  pouvoir  et  de  renom- 
mée, et  qui,  se  plaçant,  comme  il  le  disait  lui-même,  sous  la  grande 
coupole  de  l'histoire,  n’aspire  qu’à  laisser  dans  le  souvenir  des  hommes 
une  trace  que  le  temps  ne  saurait  effacer.  Quelle  inépuisable  source  de 
guerres,  de  gloire  et  d’infortune!  De  là  ces  entreprises  si  malheureuses 
et  si  vantées,  qui,  portant  notre  valeur  et  notre  impétuosité  dans  tant  de 
contrées  diverses,  les  remplissaient  de  terreur  et  d’admiration.  Je  n’en- 


tends point  vous  raconter  ces  illustres  et  pointant  stériles  campagnes.  Il 
doit  me  suffire  de  vous  rappeler  celles  où  Larrey  reçut  l’ordre  de  suivre 
nos  ai  mées.  11  les  suivit  dans  les  campagnes  de  Boulogne,  d’Ulm,  d’Aus- 
terlitz, de  Prusse,  de  Pologne,  d'Autriche,  de  Russie,  de  Saxe  et  de 
franco  ; itinéraire  qui  seul  fera  un  jour  rélonnement  de-la  postérité.  Ou 
sera  surtout  frappé  de  voir  la  France  clore  celte  longue  nomenclature. 
Ou  en  conclura  que,  par  un  retour  inévitable  des  fatalités  de  la  guerre  , 
la  France,  qui  avait  couvert  tout  le  continent  de  ses  bataillons,  a été  enfin 
refoulée  sur  elle- même,  et  qu’après  avoir  occupé  toutes  les  capitales  de 
l’Europe,  elle  a vu  la  sienne  envahie  par  les  étrangers.  Toutefois,  les  ar- 
mées s’ébranlent , les  campagnes  s’ouvrent  : marchons  sur  les  pas  de 
Larrey.  Magnifique  et  triste  spectacle!  Que  d’exploits  et  de  victoires! 
que  de  villes  emportées  et  de  provinces  soumises  ! Mais  aussi  que  de  sang 


DE  J -D.  LARREY. 


XI 


versé!  que  de  cris  lamentables!  que  de  morts,  éclatantes,  obscures,  di- 
gnes d’admiration,  dignes  de  pitié  ! Et  surtout  quelles  effroyables  plaies  ! 
Les  batailles  les  plus  heureuses,  celle  d Austerlitz , celle  d’Eylau,  et  tant 
d’autres , donnaient  par  milliers  des  blessures.  A la  vue  de  tant  de  maux, 
quels  qu’en  soient  le  nombre  et  la  gravité,  le  génie  de  Larrey  s’élève  avec 
son  courage.  Cette  rude  et  glorieuse  tâche  (glorieuse  est  le  nom  que  je 
lui  dois),  cette  tâche  qui  va  épuiser  ses  forces,  les  rend  plus  vives  et  plus 
énergiques,  et  dans  les  longues  heures  qu’il  y consacre , il  s’oublie  lui- 
même  jusqu’à  contracter  presque  une  paralysie  incurable  et  souveraine- 
ment incommode.  Ici,  du  reste,  plus  de  vaines  distinctions  ; les  rangs  n’y 
sont  plus  marqués  que  par  la  douleur,  et  le  plus  humble  soldat,  s’il  est  le 
plus  souffrant,  est  le  premier  qui  reçoit  ses  secours.  Dans  les  soins  d’une 
pitié  si  généreuse,  qu’il  est  merveilleusement  servi  par  les  ambulances 
qu’il  a créées,  rapides  et  légères,  qui 'semblent  prendre  des  ailes  pour 
emporter  au  loin  les  malades  à 20,  3o,  <jo,  5o,  55  lieues,  et  les  déposer 
dans  des  asiles  de  paix  et  de  sécurité  ! Et  ces  soins,  les  bornait-il  aux  seuls 
Français?  Non,  il  les  donnait  encore  aux  soldats  ennemis.  Il  avait  dans 
l’âme,  il  avait  dans  les  mains,  et  jusque  dans  les  doigts,  pour  ainsi  dire, 
cette  touchante  et  sainte  maxime  de  Térence,  qui,  entendue  pour  la  pre- 
mière fois  au  théâtre,  émut  si  vivement  tout  le  peuple  romain  : « Je  suis 
» homme  : rien  de  ce  qui  est  humain  nest  étranger  pour  moi.  » Comment 
une  conduite  en  effetsi  humaine,  si  courageuse  et  si  noble,  ne  lui  aurait- 
elle  pas  concilié  la  vénération  de  toute  l’armée  ? Ses  moindres  actions 
étant  connues  des  moindres  soldats,  quels  trésors  de  gratitude  il  s’amas- 
sait dans  leurs  cœurs  ! etquelbeau  témoignage  il  enreçutdans  une  circon- 
stance qui  doit  trouver  place  dans  ce  discours,  et  que,  cependant,  je  ne  puis 
rappeler  sans  amertume.  Souffrez  queje  reprenne  les  choses  de  plus  haut. 

Vous  le  savez,  messieurs,  nos  armées  avaient  si  souvent  triomphé, 
qu’on  les  crut  invincibles.  Une  aveugle  foi  dans  la  fortune  et  la  valeur  de 
la  France  finit  par  ouvrir  une  ère  de  malheurs  et  de  revers  inouïs.  Le 
trône  de  l’Europe  était  partagé.  L’Occident  était  dans  une  main,  l’Orient 
dans  une  autre.  Soit  jalousie  d’orgueil , soit  défiance  de  l’avenir,  et  pour 
donner  une  assiette  plus  ferme  à une  hiérarchie  naissante , soit  enfin  pour 
accomplir  des  desseins  plus  vastes,  pour  porter  les  aigles  françaises  au 
sein  même  de  l’Asie , pour  y pénétrer  plus  avant  que  11’avait  fait 
Alexandre,  et  frapper  au  cœur  une  nation  rivale,  l’Empereur,  encore  aux 
prises  avec  le  Portugal  et  l’Espagne,  osa  tirer  le  glaive  contre  la  Russie  : 


1 


XII 


ÉLOGE 


la  Russie,  qui  remplit  la  moitié  de  1 Europe  et  le  tieis  de  1 Asie,  c est-à- 
dirc  la  sixième  partie  de  toute  la  terre  ; la  Russie,  qui,  tiiee  depuis  trois 
demi-siècles  seulement  des  ténèbres  de  la  barbarie,  marchera  bientôt,  le 
front  levé,  à la  tête  des  nations  le  plus  formidables;  la  Russie,  qui,  après 
n’avoir  compté  que  six  millions  d’habitants,  en  compte  aujourd’hui 
plus  de  soixante  millions,  lesquels  s’accroissent  encore  d’un  demi-million 
chaque  année;  la  Russie,  qui, dans  son  sol,  ses  forêts,  ses  plaines,  sespàtu- 
raees,  ses  lacs,  ses  rivières,  ses  mers,  sesminesde  fer,  de  cuivre,  de  platine 
et  d’or,  trouve  par  son  travail  tous  les  moyens  d’alimenter,  d’habiller, 
d’enrichir  ses  peuples,  d’entretenir  ses  arsenaux,  ses  académies,  ses 
écoles;  d’équiper  scs  flottes,  de  solder  et  d’armer  ses  900,000  combat- 
tants; la  Russie,  qui  se  compose,  il  est  vrai,  d’éléments  hétérogènes,  mais 
unis,  enchaînés,  mus  par  une  seule  volonté  ; nation  invincible  dans  ses 
foyers,  et  qui  serait  la  terreur  de  toutes  les  autres,  si  les  mouvements  de 
ce  grand  corps  n’étaient  ralentis  par  sa  grandeur  même  , et  si , dans  ses 
déserts  du  côté  de  l’Orient,  la  nature  n’offrait  à son  activité  de  riches  et 
d’innocentes  conquêtes. 

Tel  était  l’ennemi  que  l’Empereur  voulait  abattre.  Je  n'entre  point 
dans  les  détails  de  cette  guerre  déplorable;  mais  parla  situation  des  deux 
adversaires,  il  était  visible  qu’elle  serait  funeste  a l’agresseur.  Jetée  loin 
de  sa  patrie,  l’armée  française  devait,  pour  son  salut,  trouver  tout  dans 
sa  propre  force.  Elle  traînait  avec  elle  des  alliés  d’une  foi  contrainte  et 
suspecte  , qui,  ne  voyant  dans  ses  lauriers  que  la  confirmation  de  leur  dé- 
faite antérieure,  et  par  conséquent  de  leur  propre  honte,  11’avaient  dans 
le  cœur  que  haine  et  défection , et  n’attendaient  pour  la  trahir  que  la  plus 
légère  hésitation  dans  sa  fortune;  au  lieu  qu’appuyée,  comme Antée,  sur 
sou  territoire,  où  elle  était  servie  à souhait  par  son  obéissance  passionnée 
des  siens,  la  Russie  allait  surtout  l’être  parle  plus  fidèle  et.  le  plus  redou- 
table de  tous  les  alliés  , la  nature,  je  veux  dire  la  rigueur  de  son  impla- 
cable climat.  Ainsi,  d’un  côté  tous  les  dangers  de  l’attaque,  de  l’autre 
tous  les  avantages  de  la  défense,  comme  il  arriva  sous  les  croisades  et  sous 
Charles  Vil I.  Dès  ses  premiers  pas,  notre  armée  rencontra  des  présages 
sinistres.  Pas  de  vivres,  pas  de  fourrages,  pas  d’hôpitaux;  et  cependant 
les  marches  rapides  et  forcées,  les  pluies,  les  bivouacs,  les  inconstances  de 
la  température  , multipliaient  pour  les  hommes  et  les  animaux  les  mala- 
dies et  les  morts.  Quelques  combats  y mêlaient  des  blessés  en  grand 
nombre.  Smolensk  en  eut  jusqu’à  10,000  de  toutes  les  nations.  Les  Russes 


DIi  J.-D.  LARREY.  XII I 

semblaient  fuir,  dévastant  leurs  propres  campagnes,  détruisant  leurs  vil- 
lages, brûlant  leurs  villes,  et  ne  laissant  entre  eux  et  nous  que  des  ruines 
et  des  cendres;  et  dans  ces  cendres,  des  menaces  terribles,  et  comme  des 
images  de  mort.  Toutefois  ces  premiers  combats  nous  étaient  favorables. 
Notre  supériorité  ne  se  démentait  pas,  et  dans  le  transport  d’une  der- 
nière victoire  et  l’enivrement  de  ses  espérances,  l’armée,  qui  soupirait 
après  un  repos  de  quelques  jours,  courut  se  précipiter  dans  les  flammes 
de  Moscou.  L’histoire  ne  parlera  qu’avec  effroi  de  ce  grand  embrasement 
qu’une  résolution,  dirai-je  sublime?  dirai-je  frénétique?  alluma  sur  les 
confins  de  l’Europe  et  de  l’Asie,  pour  l’étonnement  et  l’instruction  de 
toute  la  terre.  Je  le  dis  avec  douleur  : c’est  dans  cette  mer  de  feu  que 
seteignit  notre  empire.  C’est  là  que  le  monde  a pu  contempler  dans  toute 
sou  horreur  l’affreux  néant  de  la  fausse  gloire;  car  la  véritable  gloire  n’est 
point  dans  la  force:  elle  est  dans  la  raison,  la  justice,  l'humanité;  elle  est 
dans  le  génie  bienfaisant  d’un  Socrate,  d’un  Marc- Aurèle,  d’un  Épictète, 
d’un  Rang- hi , d’un  Franklin,  d’un  Washington,  dïui  Alexandre.  Toute- 
fois, il  faut  sortir  de  cette  immense  fournaise , où  va  s’asseoir  la  famine. 
Mais  l’armée  n’cchappe  aux  fureurs  de  l’incendie  que  pour  se  livrer  aux 
fureurs  de  l’hiver.  Les  voyez-vous,  ces  différents  corps  épars  çà  et  là,  re- 
poussés par  une  main  invisible  et  toute-puissante,  rebrousser  chemin,  et, 
dans  leur  retraite  malheureuse  et  précipitée,  chercher  leur  route  à tra- 
vers d’immenses  plaines  blanchies  par  une  neige  épaisse,  impraticable  aux 
chevaux  , aux  bagages,  au  simple  piéton,  qui  a rejeté  ses  armes  dont  le 
poids  l’accablait;  et  sans  cesse  balayées  par  un  vent  chargé  de  brume  et 
de  givre,  inégal , impétueux,  qui  les  pénètre,  les  transit,  engourdit,  en- 
chaîne leurs  mouvements,  et  trouble  à la  fois  leur  vue  et  leur  esprit?  Les 
voyez-vous  , dans  les  longues  et  froides  nuits,  marcher  au  hasard,  à la 
faible  clarté  des  étoiles,  s’égarer  dans  les  forêts  glacées,  se  diviser  en  pe- 
lotons, se  traîner,  débiles  et  chancelants,  jusqu’à  des  villages  aban- 
donnés, dans  l’espoir  d’y  rencontrer  un  peu  de  chaleur  et  de  nourriture; 
et,  rendus  de  fatigue  et  de  douleur,  tomber  sans  mouvement,  et  exhaler 
leur  dernier  soupir? 

C’est  ainsi  que  des  régiments,  que  des  bataillons  tout  entiers  fondent, 
disparaissent  et  noircissent  de  leurs  cadavres  la  surface  éclatante  de  ces 
plaines  désolées.  Le  jour,  ceux  qui  ont  le  malheur  de  survivre  se  réu- 
nissent eu  colonnes  , et  continuent  lentement  leur  marche  dans  le  silence 
de  l’abattement  et  de  la  consternation.  Et  quel  mélange!  quel  désordre’ 


^jy  ÉLOGE 

quels  accoutrements  bizarres!  Où  est  le  drapeau?  où  est  l’uniforme?  où 
est  le  comrnànderaent  et  l’obéissance?  Mais,  depuis  Moscou  , toute  dis- 
cipline est  détruite.  Sauf  un  très  petit  nombre,  ce  ne  sont  plus  des  sol- 
dats, cene  sont  plus  des  hommes;  ce  sont,  des  ombres  tremblantes,  ce 
sont  des  spectres  livides,  décharnés,  mal  couverts  de  lambeaux  affreux; 
ou,  plutôt,  c’est  la  faim  dévorante,  c’est  l’ardente  soif;  c’est  l’épuise- 
ment , la  nudité,  le  désespoir,  soutenus  seulement  par  la  terreur  que  leur 
inspire  la  vengeance  insistante  et  cruelle  qui  les  poursuit  sans  relâche, 
le  fer  et  la  flamme  à la  main.  Le  canon  gronde  , l’ennemi  approche  ; il 
faut  marcher.  Un  fleuve  se  présente.  De  tous  côtés,  'mort.  Deux  ponts 
sont  jetés.  Les  corps  armés  passent,  la  foule  se  précipite;  de  malheureux 
fugitifs  de  Moscou,  avec  leurs  femmes, leurs  enfants,  leurs  bagages;  des 
soldats,  des  chevaux,  de  l’artillerie.  De  loin  , dans  le  flot  qui  s’avance,  on 
aperçoit  Larrey.  Mille  cris  s’élèvent  : « Sauvons  celui  qui  nous  a sauvés; 
quil  vienne , qu'il  approche  l » La  foule  s’écarte  , Larrey  touche  le  pont , 
et  le  voilà  dans  les  bras  des  soldats  qui  le  font  passer  de  main  en  main 
d’un  côté  du  fleuve  à l’autre:  il  est  sauvé.  Presque  aussitôt,  les  ponts,  sur- 
chargés, fléchissent  et  croulent.  Tout  est  jeté  dans  les  glaçons  du  fleuve 
et  dans  les  marais  voisins  : hommes,  femmes,  enfants,  soldats,  chevaux, 
canons,  chars  de  guerre,  tout  tombe  pêle-mêle > tout  est  écrasé,  tout 
meurt , tout  est  englouti  pour  jamais.  O gloire  ! ô idole  de  sang  et  d’or- 
gueil! est-il  désormais  un  cœur  d’homme  qui  ose  t’encenser?  Et  que  de- 
vient ton  abominable  prestige  , quand  on  le  compare  à la  tendresse  de 
cette  jeune  mère  qui , plongée  dans  l’eau  glacée  du  fleuve , élève  au-dessus 
de  sa  tête  son  faible  enfant,  pour  le  montrer  à la  miséricorde  du  soldat, 
et  goûte,  en  perdant  la  vie,  l’ineffable  bonheur  de  sentir  qu’on  l’enlève 
de  ses  mains! 

Ma  is  qu’ai-je  fait  ? Retenu  et  comme  fasciné  par  ce  tragique  événement, 
j’ai  anticipé  sur  les  actions  de  Larrey,  ou  plutôt  je  les  ai  cachées.  J’ai 
caché  même  une  partie  de  cette  fatale  histoire,  et  je  dois  revenir  sur 
mes  pas. 

Dans  cette  suite  de  désastres , en  effet , qu’attendez-vous  de  Larrey, 
messieurs?  Larrey  partagea  tous  les  périls,  tous  les  travaux,  toutes  les 
souffrances.  Il  remplit  tous  ses  devoirs;  et  jamais  ces  saints  devoirs  ne 
demandèrent  plus  de  dévouement  et  de  fermeté.  Malgré  les  distances  et 
les  difficultés  des  chemins,  il  était  à la  tête  de  ses  ambulances  et  de  ses 
auxiliaires,  la  veille  du  grand  jour,  de  ce  jour  fameux  où,  dans  l’étroit 


DE  J.-D.  LARREY. 


XV 


espace  d’une  lieue  carrée,  600,000  combattants  furent  aux  mains  pen- 
dant quinze  heures , sous  les  feux  entrecroisés  de  2,000  pièces  d’artillerie. 
Jamais  acharnement  ne  fut  plus  opiniâtre , ni  mêlée  plus  sanglante  et  plus 
affreuse.  Elle  nous  coûta  quarante  généraux  ; elle  mit  hors  de  combat 
i3,ooo  hommes , et  sur  ces  r3.ooo  hommes  , on  compta  9, 5oo  blessures, 
les  nues  mortelles  sur-le-champ,  les  autres  d’une  telle  gravité,  que  dans 
les  vingt  premières  heures  il  fallut  emporter  sur  200  malheureux  un  ou 
deux  membres.  Quelque  zèle  que  missent  à le  seconder  ses  élèves  et  la 
plupart  des  jeunes  pharmaciens,  conduits  par  leur  vénérable  chef 
M.  Laubert,  Larrey  se  réserva  les  opérations  les  plus  difficiles.  Il  les  con- 
tinua sans  distraction,  jusqu’au  lendemain,  tout  le  jour,  et  jusque  bien 
avant  dans  la  nuit  suivante,  par  un  temps  froid  et  nébuleux,  et  mal 
éclairé  par  une  torche  de  cire  enflammée,  genre  de  secours  qu’il  ne  de- 
mandait que  pour  faire  avec  plus  de  sûreté  les  ligatures  (1  ).  Ce  travail  ac- 
compli, Larrey  se  sépare  de  ses  blessés  pour  accompagner  l’armée,  ilia 
suit  à Moscou.  11  entre  avec  elle  dans  ces  rues  longues,  spacieuses,  mais 
désertes  et  muettes  comme  les  avenues  d’un  grand  sépulcre.  Il  a le  cœur 
saisi  de  cette  solitude  et  de  ce  silence.  Le  feu  paraît  çà  et  là , sur  les  dif- 
férents points;  faibles  d’abord,  mais  attisés  par  un  fort  vent  de  l’est  et 
du  nord , ces  foyers  s’étendent , s’approchent  en  rugissant  et  se  confon- 
dent, faisant  sortir  de  ses  retraites  une  multitude  effarée  : des  vieillards , 
des  femmes,  des  enfants,  que  la  chaleur  étouffe,  que  des  flammèches 
atteignent  et  brûlent,  que  menace  la  chute  des  murailles,  et  qui  cher- 
chent vainement  l’issue  dq  cet  affreux  labyrinthe;  puis  la  flamme  mar- 
chant toujours  d’une  maison  à l’autre  , d’un  palais  à l’autre,  d’un  quartier 
à l’autre,  et  rencontrant  dans  sa  course  des  amas  d’huiles,  de  résines, 
d’alcool  et  de  poudre,  il  se  fait  de  moment  en  momeut  des  explosions 
épouvantables,  comme  si  la  ville  était  un  assemblage  de  volcans  en  fu- 
reur, d’où  s’échappent  avec  d horribles  sifflements  des  gerbes  de  feu,  qui 
font  élinceler  jusque  sur  les  nues  leurs  mille  et  mille  couleurs,  et  d’où 
s’élancent  avec  fracas  des  toitures  tout  entières  , et  des  poutres  enflam- 
mées, qui  vont  au  loin  allumer  un  nouvel  iucendie.  Dans  cette  oeuvre  de 

(1)  A Eylau,  l’Empereur  trouva  Larrey  pansant  les  blessés  qu’une  grande  bataille 
avait  donnés;  le  lendemain  à la  même  heure  et  au  même  lieu,  l’Empereur  vit  encore 
Larrey  occupé  au  même  travail.  Larrey  avait  ainsi  passé  plus  de  vingt-quatre  heures,  les 
pieds  dans  la  neige,  et  n’ayant  pour  abri  que  quelques  rameaux  d’arbres  verts. 


XVI 


ÉI.OGE 

scs  mains  sacrilèges,  que  l’homme  est  petit  et  misérable  ! Toutefois  Larrey 
avait  suivi  ses  études  favorites.  A peine  arrivé,  il  parcourt  la  superbe 
Moscou  ; il  en  visite  les  magnifiques  hôpitaux;  il  en  admire  la  splendeur 
et  l’opulence;  il  y voit  pour  ses  blessés  des  ressources  inépuisables  : 
Moscou,  qui  nage  maintenant  dans  un  océan  de  flammes;  Moscou,  qui  ne 
sera  tout-à-l’heure  qu’un  amas  de  cendres.  Tout  est  perdu.  La  retraite 
est  ordonnée.  On  veut  prendre  le  chemin  de  l’Ukraine  , où  l’armée  trou- 
vera des  vêtements  et  des  vivres.  Les  passages  sont  fermés.  On  est  rejeté 
sur  la  route  qu’on  a suivie;  route  peuplée  de  ruines,  où  on  n’aura  pour 
nourriture  que  des  cadavres  de  chevaux.  On  allait  rejoindre  du  moins 
les  malades  et  les  blessés  français  et  russes  que  l’on  avait  réunis  en  grand 
nombre  à Mozaisk  , à Kolloskoï,  à Giat , à Wiasma  , à Smolensk,  et  que 
venait  d’augmenter  encore  la  brillante  journée  où  le  prince  Eugène  fut 
victorieux.  Que  ne  puis-je,  messieurs,  vous  arrêter  à chacune  de  ces 
stations  diverses!  Vous  verriez  Larrey  visiter  ici  les  blessés  des  deux  na- 
tions, choisir  parmi  les  nôtres  ceux  qui  peuvent  rejoindre  ou  qu’on  peut 
transporter,  et  en  assurer  le  transport;  réunir  les  autres  aux  blessés 
russes,  leur  fournir  à tous  quelques  vivres,  et  attacher  à leur  service 
des  officiers  de  santé  français  ; là,  recevoir  les  remerciements  des  officiers 
russes  qu’il  a opérés  et  qui  sont  guéris,  les  secourir  de  quelques  dons,  et 
recommandera  leur  gratitude  ceux  de  nos  compatriotes  que  leur  triste  état 
retient  encore  dans  les  hôpitaux;  plus  loin,  passer  des  nuits,  soit  à parcourir 
des  ambulances,  soit  à panser  d’anciens  blessés  ou  des  blessés  échappés  à un 
combat  de  la  veille  ou  du  malin,  soit  à opérer  des  malheureux  dont  les 
membres  fracturés  n’ont  pu  être  conduits  à la  guérison  ; soit  enfin  à arra- 
cher aux  flammes  des  malades  affaiblis  qu’il  faut  ensuite  abandonner. 
Telles  sont,  messieurs  , les  fatigues  et  les  douleurs  que  Larrey  eut  à souf- 
frir ; tels  sont  les  tristes  soins  dont  il  fut  occupé  , tantôt  seul  et  réduit  à 
lui-même,  tantôt  avec  lesecours  de  quelques  femmes^jénéreuses,  et  sur- 
tout de  quelques  hommes  excellents  que  nous  avons  perdus,  F.  Ribes, 
Lerminier,  Mestivier;  en  un  mot,  voilà  ce  qu’il  a fait,  depuis  la  sortie 
de  Moscou  jusqu’à  la  catastrophe  de  la  Bérézina. 

Ce  qu’il  a lait,  ai-je  dit?  je  n’en  rapporte  qu’une  faible  partie;  et,  qui 
le  croirait.1’  les  maux  qu’il  a soufferts,  les  maux  qu’a  soufferts  1 armer , 
ne  sont  que  l’affreux  prélude  de  maux  encore  plus  aflreux.  Je  me  trompe. 
A Wilna  , ceux  de  l’armée  sont  au  comble,  et  pour  en  peindre  tout 
l’excès,  l’histoire  n’a  point  eu  d’assez  fortes  couleurs.  A Wilna,  ou  d 


XVII 


DE  J.-D.  LARREY. 

arrive  exténué,  Larrey  va  chercher  un  asile  à l’hôpital  de  la  Charité.  Il 
y est  admis.  Les  vénérables  soeurs  qui  en  font  le  service  l’environnent  de 
soins  bienveillants.  Il  sort  de  son  abattement,  il  respiie,  et,  1 anime  par 
un  repos  de  quelques  heures,  il  court  aux  hôpitaux.  Il  réunit  dans  celui 
qui  l’a  reçu,  il  remet  à la  charité  des  sœurs,  et  les  chirurgiens  malades, 
et  les  officiers  supérieurs  blessés;  il  pourvoit  aux  besoins  de  tous  les 
autres,  et  leur  laisse  des  lettres  qui  les  recommandent  aux  médecins  de 
l’armée  russe.  Mais  ils  eurent  bientôt  dans  1 humanité  d Alexandie  une 
protection  toute-puissante.  Cependant  l’armée  reprend  sa  marche;  1 ar- 
mée, si  l’on  peut  appeler  de  ce  nom  quelques  milliers  de  fantômes  des 
mains  de  qui  le  froid  fait  tomber  le  fer  qui  aurait  pu  les  défendre;  défi- 
gurés par  les  glaçons  qui  pendent  à leur  chevelure,  à leur  barbe,  à leurs 
sourcils,  à leurs  cils;  qui  se  pressent,  qui  s’appuient  les  uns  contre  les 
autres  pour  se  soutenir  et  se  réchauffer;  si  pauvres  d’ailleurs,  et  si  grotes- 
quement équipés,  qu’ils  seraient  un  objet  de  risée,  s’ils  ne  ! étaient  de 
pitié,  et  si  leur  extrême  misère  n’arrachait  des  larmes.  Malheur  à qui, 
tenté  du  doux  sommeil  que  le  froid  insinue , cède  un  moment  à ce  charme 
mortel.  S’il  fléchit,  s'il  se  laisse  couler  à terre,  il  ne  se  relèvera  plus.  C’est 
ainsi  qu’à  mesure  quelle  avance , la  colonne  de  ces  infortunés  voit  tomber 
à chaque  pas  quelques  uns  des  siens , et  qu’en  semant  sa  route  de  cadavres, 
elle  arrive  à Kowno  : Kowno , où  Larrey  trouve  les  hôpitaux  remplis  de 
malades.  Il  met  à les  séparer,  à les  choisir,  à les  expédier,  à les  protéger, 
la  même  vigilance  et  la  même  activité.  Mais  l’état  même  des  fleuves  nous 
livrait  aux  ennemis.  Le  Niémen  était  gelé  à plusieurs  pieds  de  profon- 
deur. Les  Cosaques  le  passèrent  à pied  sec,  et  nous  prévinrent.  Il  fallut, 
au  sortir  de  Kowno,  leur  abandonner  le  trésor,  le  reste  des  équipages, 
le  reste  de  l’artillerie , tout  ce  qui  pouvait  nous  assurer  une  ombre  cle  dé- 
fense. Contents  de  celte  proie,  ils  cessèrent  enfin  leur  poursuite.  Qu’a- 
vaient-ils désormais  à combattre?  C’est  alors  , c’est  après  quelques  jours 
d’une  marche  tranquille,  que  les  soldats  étrangers,  nos  compagnons 
d’armes,  restés  jusque  là  fidèles,  rompirent  une  alliance  qui  leur  avait 
été  si  funeste,  et  prirent  chacun  le  chemin  de  leur  patrie.  Les  Français 
suivirent  seuls  la  route  de  Gurnbinen.  Là,  sécurité,  repos,  vivres,  ha- 
billements; la  parurent,  dans  toute  la  sévérité  de  leur  attitude  militaire, 
avec  leurs  chevaux  et  leurs  armes,  ces  3,000  hommes  de  la  garde,  les 
meilleurs  soldats  de  toute  l’armée,  les  seuls  qui  eussent  bravé  toutes  les 
calamités  de  la  retraite,  et  les  seuls  qui  survécussent  à une  armée  de 

T.  XII. 


C 


XVIII  ÉLOGE 

4oo,ooo  hommes,  la  plus  brillante  du  monde.  Ils  avaient  à leur  tête  les 
maréchaux  ducs  de  Dantzick  et  d’Istrie.  Eugène  et  Murat  en  occupaient 
le  centre  : ce  centre  où  s’étaient  retranchés,  dit  Larrey,  1 honneur  et  la 
gloire  de  nos  armes.  Or,  ces  hommes  invulnérables  étaient  presque  tous 
du  midi  de  la  France,  remarque  sur  laquelle  Larrey  reviendra  dans  un 


moment. 

Mais  Kœnigsberg  l’appelle.  Nous  avions  dans  cette  ville  10,000  ma- 
lades et  blessés.  Faute  de  place  dans  les  hôpitaux,  on  en  avait  mis  dans 
des  maisons  particulières  : c’était  un  service  à surveiller.  Larrey  part;  il 
arrive  dans  la  nuit  du  2 1 au  22  décembre,  par  un  froid  de  20  degrés.  11 
est  reçu  chez  son  excellent  ami,  le  docteur  Jacobi.  Le  jour  venu,  après 
une  visite  générale,  et  de  concert  avec  le  médecin  en  chef,  M.  Gilbert, 
toutes  les  mesures  sont  prises,  tout  est  réglé.  Les  malades  que  l’on  peut 
transporter  sont  expédiés  en  traîneaux,  ou  sur  la  glace,  pour  Elbing,  ou 
pour  Dantzick.  U rend  compte  aux  chefs  de  l’armée  de  tous  les  incidents 
de  la  retraite.  Il  rédige  pour  les  chirurgiens  une  instruction  sur  le  traite- 
ment des  plaies  de  congélation,  qu  il  assimile  aux  brûlures.  Le  23,  il  est 
pris  tout-à-coup  de  cette  sorte  de  typhus  que  produit  l’impression  du 
froid,  lorsqu’elle  a été  vive  et  prolongée  , et  qu  elle  a profondément  dé- 
térioré toute  l’économie.  L’habileté  de  son  hôte  vénérable  le  mit  en  état 
de  partir  le  1"  janvier  suivant  pour  Elbing,  d’où  il  se  rendit  à Posen  et 
à Francfort  ; toujours  soigneux,  malgré  sa  faiblesse,  d’améliorer,  chemin 
faisant , le  service  des  hôpitaux.  A Francfort,  il  eut  un  repos  de  quelques 
jours;  il  en  profita  pour  coordonner  ses  notes  sur  l’action  du  froid  et 
sur  le  singulier  typhus  dont  je  viens  de  parler.  Souffrez  qu’avec  lui  je 
vous  arrête  un  moment  sur  ces  tristes  objets. 

De  l’aveu  des  Russes,  jamais  l’hiver  n’avait  été  plus  rigoureux.  Le  ther- 
momètre de  Réautuur  était  descendu  jusqu’à  28  degrés.  L’armée  était 


constamment  au  bivouac.  Les  détachements  n’osaient  se  tenir  la  nuit 
dans  des  granges  pleines  de  fourrages,  de  peur  d’y  être  brûlés.  Les  che- 
vaux, privés  de  couvertures,  succombèrent  les  premiers,  ils  périssaient 
à chaque  pas,  en  foule,  partout,  et  particulièrement  la  nuit.  Les 
hommes,  dépourvus  de  fourrures,  de  manteaux,  de  capotes,  pour  peu 
qu  ils  fissent  halte  , s’engourdissaient,  tombaient,  mouraient;  surtout  les 
jeunes  soldats,  plus  enclins  au  sommeil.  Une  division  de  12,000  soldats, 
tous  jeunes;  nen  a ramené  que  36o.  Les  sujets  blonds,  pblegmatiques, 

• es  hommes  du  Nord,  bien  que  façonnés  par  le  climat,  étaient  moins 


DE  J.-D.  LAIIREY. 


XIX 


épargnés  que  les  sujets  bruns,  sanguius,  bilieux,  nés  dans  le  midi  de  la 
France  ou  de  l’Europe.  Cependant,  il  y eut  des  nuits,  en  décembre,  où 
chaque  bivouac  laissait  des  quantités  d’hommes  entièrement  gelés.  Il  en 
mourut  jusqu’à  10,000  dans  une  seule  nuit.  Une  pâleur  extrême,  une 
sorte  d’idiotisme,  la  marche  chancelante  de  l’ivresse,  comme  dans  la 
peste,  une  parole  embarrassée,  l’affaiblissement  ou  la  perte  de  la  vue, 
étaient  les  avant-coureurs  de  la  mort,  que  consommait  une  chute 
presque  toujours  sur  la  face,  quelquefois  avec  émission  de  l’urine,  ou 
avec  hémorrhagie  nasale,  ainsique  Larrey  l’a  vu  sur  les  hauteurs  de 
Miéneski.  Le  seul  moyen  de  prévenir  ou  de  retarder  une  fin  si  malheu- 
reuse était  la  marche;  mais  la  marche  suppose  des  forces,  les  forces  sup- 
posent de  la  nourriture , et  on  n’en  avait  pas.  Heureux  les  possesseurs 
d’un  peu  de  vin,  d’un  peu  de  café!  Passer  brusquement  de  la  famine  à la 
satiété,  d’un  congélation  à une  vive  chaleur,  quoi  de  plus  mortel  !’  Eu 
s’approchant  du  feu  des  bivouacs,  les  uns  y tombaient  roides  morts;  les 
autres  avaient  sur-le-champ  les  pieds,  les  mains,  les  parties  saillantes 
frappées  de  gangrène,  et  devenaient  la  proie  de  l’ennemi.  Pieçus  dans 
des  appartements  trop  chauds,  d’autres  se  tuméfiaient,  se  boursouflaient, 
expiraient  sans  proférer  une  parole.  D’autres  enfin,  cédant  à l’avidité  de 
leur  appétit,  étaient  bientôt  saisis  de  cette  ataxie  catarrhale  de  congéla- 
tion qu’essuya  Larrey,  et  qui  ne  diffère  pas  du  typhus  des  armées,  con- 
tagion redoutable  qui  concourut  avec  tant  d’autres  fléaux  à la  destruc- 
tion de  nos  phalanges,  et  qui  se  répandit  dans  tout  le  Nord  , avec  les  sol- 
dats que  l’on  transportait  d’une  ville  dans  une  autre.  Jugé  favorablement 
par  une  diarrhée  passagère,  par  des  sueurs  brunâtres  , par  des  hémor- 
rhagies nasales,  le  plus  souvent,  au  contraire,  ce  typhus  emportait  les 
malades,  laissant  après  lui  un  cerveau  affaissé,  dense,  et  coiffé  d’une 
couche  d’albumine  concrète,  des  intestins  rétrécis , des  vestiges  d’épi- 
ploons, des  taches  noires  dans  le  larynx,  et  des  escarres  gangréneuses 
à l’abdomen  et  aux  extrémités  inférieures.  Ajouterai-je,  avec  Larrey,  que 
le  froid  prolongé  fait  quelquefois  pénétrer  dans  le  tissu  cellulaire  une 
impression  durable,  qui,  plus  tard,  se  manifestera  sur  toute  l’habitude 
extérieure  par  une  induration  analogue  à celles  des  enfants  nouveau-nés  ? 
Voilà  ce  que  Larrey,  de  retour  en  France,  a vu  sur  quantité  de  jeunes 
soldats  de  la  nouvelle  garde  qui  avaient  fait  la  campagne  de  Russie. 

Achevons  cette  triste  campagne.  Tout  a changé  de  face.  Les  amitiés 
ne  sont  plus  les  mêmes.  Fortifié  par  nos  alliés  d’hier,  l’ennemi  s’avance 


XX  ÉLOGE 

de  partout,  et  à chaque  moment,  de  même  que  notre  armée,  Larrey 
change  de  situation  : du  22  février  au  3o  avril,  il  passe  de  Francfort  à 
Berlin,  à Wittemberg,  à Leipsick,  ville  de  science,  que  ravage  le  typhus; 
à Halle,  où  il  rend  visite  au  fils  de  Meckel,  et  doù  il  fait  enlever  nos  ma- 
lades; à Magdebourg,  où  le  service  de  la  chirurgie  devait  etre  assuré, 
ainsi  qu’à  Halberstadt  et  Mersbourg;  rencontrant,  de  loin  en  loin,  quelque 
nouveau  combat,  et  recueillant  dans  ses  hôpitaux  quelques  centaines  de 
nouveaux  blessés.  Car  le  terrible  jeu  de  la  guerre  ressemble  à la  toile  de 
Pénélope;  on  y fait  des  contraires:  on  détruit  d’un  côté,  on  conserve  de 
l’autre, 

La  campagne  est  terminée,  mais  la  guerre  ne  l’est  pas.  Deux  autres 
campagnes  vont  succéder,  les  dernières  de  l’Empire,  celle  de  Saxe,  celle 
de  France,  où  l’on  ne  combat  plus  pour  étendre  nos  conquêtes,  mais 
pour  défendre  notre  propre  territoire  contre  toute  l’Europe,  et  retenir 
sur  la  pente  qui  l’entraîne  le  colosse  qu’avait  élevé  notre  courage,  et  qui, 
dans  quelques  mois,  malgré  tant  d’efforts  héroïques  et  de  sang  répandu, 
sera  couché  dans  la  poussière;  toutes  deux  marquées,  du  reste,  par  la 
même  bravoure  et  les  mêmes  calamités;  des  combats,  des  batailles,  des 
victoires,  des  trahisons,  des  défaites,  des  maladies,  et  des  blessures  en 
nombre  effrayant.  Le  premier  mois  de  la  campagne  de  Saxe  en  donna 
2*,ooo.  Toutes  deux  enfin,  expirant,  la  première  par  le  désastre  de 
Leipzick;  la  seconde,  parle  moins  prévu  de  tous  nos  malheurs,  la  prise 
de  notre  capitale. 

Je  dois  rappeler  toutefois  que,  coupée  pour  ainsi  dire  en  deux  actes  par 
le  congrès  de  Prague,  la  campagne  de  Saxe,  malheureuse  pour  nous  dans 
sa  première  moitié,  le  fut  encore  beaucoup  plus  dans  la  seconde,  puisque 
notre  armée  fut  rejetée  du  cœur  même  de  la  Silésie  jusque  sur  le  Rhin. 
Aux  22,000  blessés  dont  j’ai  parlé  tout-à-l  heure,  et  dont  les  batailles  de 
Lutzen,  de  Wurchen,  de  Bautzen , et  six  combats  meurtriers,  avaient 
peuplé  les  hôpitaux  de  Lutzen  même  et  de  Dresde,  il  faut  joindre  les 
1 3,ooo  que  donnèrent  les  sanglantes  batailles  de  Dresde  et  de  Warchau, 
et  ceux  qu’une  funeste  méprise  fit  abandonner  en  grand  nombre  à 
Leipzick,  avec  une  partie  de  l’armée,  des  bagages,  de  l’artillerie,  et  tout 
le  matériel  des  ambulances.  Nous  perdîmes  ce  jour-là  3o,ooo  hommes, 
fie  pont  de  cette  ville  fut,  pour  Larrey,  comme  le  pont  de  la  Bérézina. 
Il  venait  de  le  traverser,  avec  la  majeure  partie  de  ses  collaborateurs, 
lorsqu’un  ordre  mal  compris  le  fit  sauter.  Outre  le  soin  que  prenait 


XXI 


* DE  J.-D.  LARREY. 

Larrey  de  préparer  à l’avance  et  de  tenir  en  lion  état  les  hôpitaux,  outre 
le  soin  d’en  assurer  le  service  par  le  nombre  et  le  choix  des  chirurgiens, 
le  plus  souvent,  la  veille  de  ces  journées  malheureuses,  il  passait  la  nuit 
à préparer  les  appareils,  et  le  jour,  après  avoir  distribué  ses  ambulances, 
à faire  panser,  à panser  lui- même  sur  place  tous  les  blessés,  se  réservant 
toujours  les  cas  les  plus  difficiles,  et  faisant  transporter  sur-le  champ  les 
malades  dans  les  villes  les  plus  voisines;  en  dernier  lieu  à Francfort  et  h 
Mayence,  comme  il  le  fit  après  la  vive  bataille  de  Hanau  contre  les  in- 
fidèles Bavarois. 

Mais  à l’histoire  de  cette  campagne  se  rattache  un  épisode  qui,  dans 
la  personne  de  Larrey,  fait  encore  plus  d’honneur  à l’homme  qu’au  grand 
chirurgien.  Dans  l’intermède  des  deux  moitiés  de  la  campagne,  on  re- 
marqua que  y, 632  militaires  de  toutes  armes  avaient  les  doigts  tronqués, 
et  les  mains  percées  par  des  balles.  On  disait  que,  pour  se  soustraire  au 
service,  ils  s’étaient  blessés  volontairement.  L’Empereur  indigné  veut  un 
exemple.  Autorisé  par  ce  qu’il  a vu  en  Pologne,  et  surtout  en  Espagne, 
sur  des  soldais  irréprochables,  Larrey  ose  soutenir  qu’il  n’est  pas  un  œil 
capable  de  distinguer  une  blessure  volontaire  d’avec  toute  autre  blessure, 
et  que  l’imputation  est  une  calomnie.  C’était  s’élever  contre  le  sentiment 
du  maître.  Il  est  seul  de  cet  avis.  Une  enquête  est  ordonnée  et  un  jury 
formé  sous  sa  présidence.  Il  a pour  collègues  un  chirurgien  principal, 
trois  chirurgiens-majors,  et  pour  témoins  deux  officiers  supérieurs  délé- 
gués par  le  grand  prévôt  de  l’armée.  Après  le  plus  sévère  examen  sur 
chaque  mutilé,  le  jury  déclare  qu’il  est  impossible  de  prouver  qu’une 
seule  des  blessures  inculpées  ait  été  volontaire,  et  l’honneur  des  accusés 
est  proclamé  avec  leur  innocence  : jugement  d’autant  plus  inattaquable 
que  les  blessures  de  l’apparence  la  plus  suspecte  avaient  été  reçues  par 
des  soldats  d’une  bravoure  et  d’un  dévouement  éprouves.  En  présentant 
ces  conclusions  à l’Empereur  encore  tout  ému,  Larrey  en  appelle  à sa  jus- 
tice, et  il  obtient  deux  choses:  le  renvoi  des  militaires  ericore  valides  à 
leurs  différents  corps,  et  une  destination  honorable  pour  ceux  qui  ne 
pouvaient  plus  servir;  deux  mesures  que  l’Empereur  adopte  et  qu’il  étend 
à tous  les  blessés  de  1 armée.  Ici,  l’équité,  toujours  si  nécessaire,  était 
d accord  avec  la  politique.  Les  ennemis  apprirent  que  notre  armée  n’avait 
pas  de  courages  équivoques.  L’armé'e  elle-même  le  sentit  avec  joie,  et  la 
foi  qu’elle  avait  dans  ses  propres  forces  n’en  fut  que  plus  vive. 

Eu  fyïypte,  Larrey  rencontrait  partout  ce  typhus  appelé  peste,  cette 


XXII  ÉLOGE 

triste  fille  de  l’humidité,  de  la  chaleur  et  des  cadavres;  à son  retour  en 
France,  il  rencontre  à chaque  pas,  au  milieu  des  populations  effrayées, 
cette  autre  peste  appelée  typhus,  que  la  guerre  traîne  presque  toujours 
après  elle;  fruit  meurtrier  du  froid,  de  la  faim,  de  la  fatigue,  et  des 
peines  de  l’âme.  En  décembre,  il  s’arrête  à Metz,  où  il  songe  aux  moyens 
d’améliorer  les  ambulances.  Il  fait,  dans  douze  villes  de  l’est  et  du  nord, 
l’inspection  des  hôpitaux  et  des  malades  ; il  rend  compte  au  ministre  de 
la  guerre  des  maux  qu’il  a sous  les  yeux.  A peine  arrivé  à Paris,  il  reçoit 
l’ordre  de  rejoindre  l’armée  pour  la  campagne  de  France;  campagne 
d’une  durée  si  courte,  d’une  fin  si  funeste,  et  qui,  semblable  à un  orage 
violent  et  sombre,  laissa  percer  mille  et  mille  éclairs  de’ ce  génie  guer- 
rier, qui,  vaincu  en  Russie  par  les  éléments,  en  Saxe  par  la  trahison , ne 
pouvait  l’être  à nos  portes  que  parle  nombre;  car  cette  fois  l’Europe  fut, 
à la  lettre,  arrachée  de  ses  fondements,  pour  être  précipitée  sur  nous. 
Cette  campagne  était  la  vingt-quatrième  de  Larrey.  Comment  le  suivre 
dans  les  mouvements  rapides  et  tumultueux  des  armées,  je  dirais  presque 
dans  ce  lacis  entrecroisé  de  combats  et  de  batailles  qui  se  livrent  d’un 
jour  à l’autre,  dans  des  lieux  et  avec  des  fortunes  si  diverses,  et  qui,  mul- 
tipliant à l’infini  les  blessures,  lui  laissaient  à peine  le  temps  de  les  voir 
et  d’y  porter  remède?  Cependant  jamais  Larrey,  jamais  ses  collègues, 
ne  soutinrent  mieux  l’honneur  de  la  chirurgie  militaire;  jamais  Larrey 
n’eut  à donner  ses  soins  à de  plus  illustres  victimes.  Enfin,  le  licenciement 
de  la  Grande-Armée  mit  un  terme  à ses  longues  fatigues,  et  lui  permit  de 
reprendre  les  fonctions  élevées,  mais  paisibles,  qui  en  avaient  été  la  ré- 
compense. 

Mais  à l’empire  détruit  survivait  l’esprit  de  l’empire.  Larrey  l’avait 
dans  le  cœur.  Ce  cœur  rempli  de  gratitude  ne  pouvait  abjurer  ses  senti- 
ments. Des  regrets  , des  intérêts  , des  passions  ourdirent  l’entreprise  des 
Cent-Jours  : fatale  entreprise  qui  se  termina  brusquement  par  une  se- 
conde abdication  ; avec  cette  différence  que  la  première  avait  été  glo- 
rieusement disputée  , pendant  soixante-dix  jours  , par  quatorze  combats 
et  cinq  batailles  ; et  qu’en  dix  jours,  la  seconde  ne  fut  qu’une  déchéance 
éclatante , terrible , et  comme  un  coup  de  foudre  mortel.  Charles  XII, 
après  tant  de  triomphes,  n’était  plus  qu’un  artisan  de  malheurs.  Envé- 
loppé  dans  cette  dernière  infortune,  Larrey,  pris,  blessé,  dépouillé, 
chargé  de  liens  , traîné  d’un  poste  à l’autre  par  les  ennemis  , près  d’être 
fusillé  , reconnu  par  le  chirurgien-major  prussien  qui  lui  met  sur  les  yeux 


DE  J.-D.  LARREY. 


XXIII 


le  bandeau  fatal;  Larrey,  conduit  devant  le  général  Bulow,  devant  le 
maréchal  Blücher,  dont  il  avait  autrefois  sauvé  le  fils  d’une  mort  presque 
inévitable,  Larrey  fut  enfin  mis  en  liberté  ; et,  protégé  par  une  escorte  , 
il  fut  envoyé,  malgré  sa  faiblesse,  à Louvain,  d’où  il  se  rendit  à Bruxelles, 
où,  ses  forces  se  rétablissant  par  degrés , il  les  employait  à visiter  les  hô- 
pitaux et  les  malades;  assistant  au  pansement  des  blessés  de  toutes  les 
nations,  et  retrouvant  dans  le  nombre  quelques  uns  de  ceux  dont  il  avait 
pris  soin  sur  le  champ  de  bataille  de  Waterloo.  Rappelé  à Paris  par  les 
chefs  des  trois  puissances  alliées,  il  eut  hâte  de  s’y  rendre,  et  le  t5  sep- 
tembre 1 8 1 5 il  eut  le  bonheur  de  se  trouver  au  sein  de  sa  famille  : de  sa 
famille  , qui,  pendant  plusieurs  jours,  avait  pleuré  sa  mort. 

Lorsque  les  Guelfes  et  les  Gibelins  remplissaient  toute  l’Italie  de  leurs 
sanglantes  animosités,  Grégoire  X vint  de  Rome  à Florence  , et  ses  parti- 
sans triomphaient.  Il  les  réunit  avec  leurs  adversaires,  et  leur  tint  ce  dis- 
cours : « Avant  d’être  Guelfes,  avant  d’être  Gibelins , n êtes-vous  pas  des 
» hommes  ? et  en  qualité  d’hommes , n ’êtes-vous  pas  des  frères  ? ne  devez- 
» vous  pas  vous  secourir  et  vous  aimer?  » Le  langage  de  ce  divin  pape 
est  celui  de  la  médecine.  Un  médecin  digne  de  ce  nom , un  chirurgien  ne 
voit  dans  les  hommes  que  des  êtres  souffrants  qu’il  doit  soulager.  Il  peut 
avoir  dans  le  cœur  des  affections,  mais  il  n’a  pas  de  préférences; et  quels 
que  soient  la  couleur  ou  les  sentiments  de  ses  malades,  ses  devoirs  sont 
les  mêmes,  et  il  les  remplit  avec  la  même  tendresse  et  la  même  chaleur. 
Ne  vous  étonnez  donc  pas  de  voir  Larrey  ne  refuser  ses  services  à aucun 
des  gouvernements  qui  se  sont  succédé.  Son  art  le  fait  citoyen  du 
monde  et  serviteur  de  tous  les  jaonimes.  Honoré  de  toute  l’Europe,  il  finit 
par  l’être  de  la  Restauration.  Il  perdit,  à la  vérité,  des  fonctions  dont  un 
nouvel  ordre  dans  le  service  rendit  la  suppression  nécessaire;  il  perdit 
également  la  dotation  de  la  Légion-d’Honneur.  Une  pension  qu’il  tenait 
de  la  juste  libéralité  de  Napoléon  fut  suspendue.  Ces  pertes,  après  toutes 
celles  que  la  guerre  avait  coûtées  à sa  famille,  Larrey  les  ressentait,  avec 
raison  peut-être,  comme  autant  d’injustices.  Il  en  était  navré.  Il  songeait 
à quitter  la  France.  Des  patries  lui  étaient  offertes,  en  Russie,  aux  États- 
Unis,  au  Brésil.  Mais  il  fit  diversion  à ses  chagrins  parle  travail.  Protégé 
d’ailleurs  par  sa  renommée  de  savoir  et  d’humanité,  aussi  bien  que  par 
1 attachement  que  lui  portait  la  garde  royale,  il  conserva  la  place  de 
chirurgien  en  chef  du  Gros-Caillou. 

Bientôt  une  loi  lui  rendit  la  pension  que  lui  avait  méritée,  après  quatre 


XXIV  ÉLOGE 

{grandes  batailles,  la  grandeur  de  ses  services.  Cet  acte  solennel  de  jus- 
tice, et  le  soin  que  prend  l’auguste  fondateur  de  votre  Académie  de 
l’attacher  à vous  dès  l’origine,  achèvent  de  rendre  Larrey  à lui-même. 
Son  courage  abattu  se  ranime.  Il  reprend  le  projet,  depuis  longtemps 
formé,  d’écrire,  comme  Ambroise  Paré,  un  grand  traité  de  chirurgie.  Son 
expérience  ne  lui  suffit  pas.  Il  veut  consulter  l’Angleterre.  Il  part  avec 
son  jeune  fils;  son  fils,  dont  les  talents  feront  refleurir  la  gloire  de  son 
nom.  Ils  parcourent  celte  heureuse,  cette  étonnante  contrée;  ils  suivent 
la  pratique  des  grands  maîtres  : ils  étudient  dans  toute  leur  économie 
et , pour  ainsi  dire,  dans  tous  les  détails  de  leur  structure  intérieure,  les 
hôpitaux  civils  et  militaires.  Ils  rapportent  de  là,  pour  la  science  et  pour 
l’administration,  des  lumières  toutes  nouvelles.  Puissent  les  peuples  ne 
faire  jamais  l'un  sur  l’autre  que  ce  genre  de  conquêtes,  et  n’échanger 
entre  eux  que  des  services  et  des  idées  de  sagesse  et  de  bonté!  De  retour 
à Paris,  Larrey  communique  au  ministère  et  à l’Académie  des  sciences 
les  résultats  de  son  voyage;  et  bientôt,  sur  le  rapport  de  notre  hono- 
rable confrère  Dnméril , cette  illustre  compagnie  l’admet  dans  son  sein; 
il  y remplace  l’éloquent  professeur  Pelletan.  La  révolution  de  juillet  éclate. 
Larrey  reçoit  les  blesses  de  la  Garde.  Le  troisième  jour,  un  groupe  de 
furieux,  la  menace  à la  bouche , vient  assiéger  l’hôpital.  Larrey  se  pré- 
sente : « Quels  sont  vos  desseins?  qui  osez-vous  menacer?  Sachez  que  ces 
” malades  sont  a moi , que  mon  devoir  est  de  les  défendre  , et  que  le 
” vôtre  est  de  vous  respecter  vous-mêmes  en  respectant  des  malbeu- 
» reux.  » Cette  fermeté  les  arrête;  ils  se  retirent,  n’emportant  avec  eux 
que  des  armes  dont  ils  n avaient  plus  rien  à craindre. 

Je  ne  vous  parle  pas  des  courses  qu’il  fit  peu  de  temps  après  dans  les 
Pays-Bas , dans  une  partie  de  1 Italie  et  dans  le  midi  de  la  France  , ni  de 
ses  remarques  sur  le  danger  de  certains  hôpitaux  , ni  de  la  réfo  une  qu’il 
introduisit  dans  le  traitement  d une  ophthalmie  dont  il  a peut-être  mé- 
connu 1 origine  et  le  caractère , marqué  si  nettement  par  M.  Ca.ffe,  ni  de 
celui  qu  il  proposait  contre  le  choléra  de  l’Inde  , maladie  qu’il  attribue  à 
des  nuées  d insectes  imperceptibles  ; ne  songeant  pas  que  cette  cruelle 
affection,  née  dans  le  delta  du  Gange,  s’est  propagée  dans  mille  lieux 

divers,  contre  la  direction  des  vents,  ce  que  ne  sauraient  faire  les  insectes 
qu  il  suppose. 

Je  m arrête  un  moment,  messieurs.  Jusqu’ici  ma  parole  ne  vous  a 
montré  dans  Larrey  que  l’homme  ou  la  personne.  Nous  l’avons  suivi  sur 


DE  J.-D.  LARREY. 


XXV 


ces  grands  théâtres  où  sa  gloire  se  confondait  avec  celle  de  nos  armes  , 
et  où  les  pins  fermes  courages  étaient  égalés  par  le  sien.  Il  serait  temps 
de  vous  le  présenter  sous  un  autre  jour,  et  de  découvrir  en  lui  le  chirur- 
gien. Mais,  je  l’avoue,  cette  seconde  partie  de  ma  tâche  a des  difficultés 
qui  m’effraient.  J’ouvre  les  nombreux  volumes  que  Larrey  lègue  à la 
postérité;  je  les  ouvre,  et  j’en  vois  sortir  comme  une  fourmilière  de  ma- 
ladies, les  unes  exotiques,  c’est-à-dire  familières  seulement  à des  con- 
trées étrangères;  les  autres,  plus  répandues,  mais  bizarres,  étranges, 
singulières,  et  presque  exotiques  par  leur  singularité  même;  cclles-ci 
communes  à tous  les  lieux , à tous  les  hommes,  à tous  les  animaux  qui  les 
servent;  et  finalement  celles-là,  non  moins  étranges,  diversifiées  à 1 infini, 
et  ne  se  montrant  qu’avec  les  calamités  de  la  guerre;  toutes,  du  reste, 
réclamant  des  secours  que  la  main  seule  peut  donner,  et  constituant  ainsi 
le  domaine  de  la  chirurgie  proprement  dite;  et  de  même  que,  dans  une 
ville  bien  ordonnée,  chaque  classe  de  citoyens  a une  habitation  distincte, 
de  même,  pour  bien  étudier  ces  maladies,  il  serait  nécessaire  de  les 
ranger  dans  leurs  quartiers , pour  ainsi  dire,  en  commençant  par  les  ma- 
ladies étrangères. 

Là  , vous  rencontreriez  la  peste,  la  lèpre,  l’éléphantiase , l’ophthalmie, 
pour  l’Egypte;  la  colique  de  Madrid,  pour  l’Espagne;  la  plique,  pour  la 
Pologne.  De  ces  six  maladies,  je  ne  rappellerai  dans  ce  moment  que  la 
première  et  la  dernière,  la  peste  et  la  plique;  l’une  trop  grave,  l'autre  trop 
singulière,  pour  être  passées  sous  silence.  Larrey  décrit  la  peste  avec  une 
partie  de  ses  étonnantes  variétés.  Il  la  déclare  contagieuse,  et  regarde 
l’opinion  contraire  comme  une  de  ces  calamités  de  l’esprit  plus  redou- 
tables que  la  peste  même , car  c’est  par  là  que  la  peste  s'étend  et  se  mul- 
tiplie. 11  la  croit  originaire  de  la  Basse-Égypte  et  de  la  Syrie.  La  Syrie 
reçoit  la  peste  et  ne  la  produit  pas.  La  Basse-Égypte,  le  Delta  , voilà  au- 
jourd’hui le  seul  foyer  permanent  de  peste  qui  soit  au  monde.  Depuis  neuf 
ans  , Constantinople  que  l’on  accusait  n’a  plus  de  peste.  Elle  s’en  est  dé- 
livrée, ainsi  que  Smyrne  et  1 île  de  Candie,  par  les  quarantaines;  et  ces 
quarantaines  si  blâmées  et  si  salutaires  n’en  sauraient  préserver  l’Égypte. 
L’amour  de  l’argent  veut  les  abolir  en  Europe.  L’amour  de  l’argent  aurait 
mieux  à faiie.  quil  abolisse  la  peste,  quil  la  détruise;  car  la  peste  n’est 
point  1 œuvre  de  la  nature,  comme  la  chaleur  et  l’humidité  ; la  peste  est 
l’œuvre  de  l’homme,  et  l’homme  peut  l’anéantir;  il  ne  faut  que  changer 
1 Egypte.  Pourquoi  Montesquieu  n’aurait-il  pas  raison? 

d 


T.  XII. 


ÉLOGE 


XXVI 

Je  passe  à la  plique  de  Pologne , je  veux  dire  à cet  étrange  entrelace- 
ment, à cc  feutrage  inextricable  des  cheveux  et  des  poils,  qui  prennent 
souvent  une  longueur  démesurée,  et  qu’abreuve,  que  nourrit,  que  cimente 
un  flux  de  lymphe  coagulable  et  fétide.  Ici , tout  est  problème,  l’origine, 
la  nature,  les  causes,  le  caractère,  et  jusqu’à  la  réalité  de  la  maladie. 
Pareille  au  sphynx  delà  fable,  aigle,  femme  et  lion  tout  ensemble,  la 
plique,  parles  apparences  quelle  prend,  par  les  vives  douleurs,  les 
convulsions,  les  palpitations,  les  étouffements  qui  l’annoncent  et  l’accom- 
pagnent , par  les  insectes  qu’elle  produit,  et  les  bizarres  instincts  qu’elle 
inspire,  la  plique  serait  tout  à la  fois  teigne,  syphilis,  arthritis,  phtiriase, 
névrose,  contracture.  Des  maux  si  divers  sont-ils  donc  uniquement  l’effet 
de  la  malpropreté?  La  plique  est-elle  un  vice  plutôt  qu’une  maladie? 
Larrey  semble  le  croire;  d’antres  l’ont  affirmé.  Mais  quoi!  l’enfant  qui 
vient  au  monde  avec  la  plique  a-t-il  été  malpropre?  Cette  plique  origi- 
nelle fait  assez  voir  que  le  mal  est  héréditaire.  Ce  triste  héritage  éclate 
plus  tôt  ou  plus  tard  : tantôt  après  les  longues  souffrances  que  je  viens 
d’énumérer,  tantôt  brusquement  au  milieu  de  la  santé  la  plus  florissante  : 
à ce  point  que  de  la  tête  la  plus  gracieuse  et  la  plus  belle,  la  plique  fait 
en  quelques  heures  une  horrible  tête  de  Méduse.  Dans  le  premier  cas, 
l’explosion  tranche  les  douleurs;  dans  le  second  , elle  les  prévient.  Et  non 
seulement  la  plique  est  héréditaire,  mais  encore  elle  est  contagieuse. 
Elle  se  transmet  surtout  par  les  vêtements  , comme  la  gale , la  variole,  la 
peste,  le  choléra.  On  pense  même  qu’elle  a été  apportée  en  Pologne, 
il  y a six  siècles,  par  les  Tartares,  qui  l’avaient  reçue  de  l’Inde;  et 
l’Inde,  d’où  lavait-elle  ? Obscurité  désormais  impénétrable.  Mais  il  est 
en  toute  chose  un  point  initial  que  nous  n’atteindrons  jamais.  Une  fois  en 
Pologne,  elle  s’y  est  maintenue,  comme  se  maintient  en  Europe  une 
maladie,  comme  elle  héréditaire  et  contagieuse,  la  syphilis.  La  plique 
vient  même  d’envahir  le  duché  de  Posen  et  d’y  faire  des  progrès  rapides. 
A quels  fléaux  ne  nous  livre  pas  l'étonnante  variété  de  nos  organisations? 
Du  reste,  en  Pologne,  les  animaux  eux-mêmes,  les  chevaux,  les  chiens, 
et  jusqu  aux  oiseaux  de  basse-cour,  sont  sujets  à tous  les  caprices  de  la 
plique;  et  s’il  est  prouvé  parmi  nous  que  la  morve  passe  du  cheval  à 
1 homme,  faut-il  s étonner  qu’en  Pologne  la  plique  passe  de  l’homme  aux 
animaux?  Deux  choses  également  incompréhensibles,  mais  toutes  deux 
également  réelles. 

Plus  j avance  dans  ce  discours,  plus  je  sens  les  difficultés  grandir.  Me 


XX  vu 


DE  J.-D.  LARREY. 

voilà  devant  ces  immenses  travaux  qui  ont  rempli  la  vie  de  Larrey,  et 
qui  forment,  je  le  répète,  une  masse  si  pleine  et  si  solide  que  je  ne  sais 
comment  l’entamer.  Peut-être  n est-il  pas  une  seule  maladie  chirurgicale 
que  Larrey  n’ait  vue,  étudiée,  traitée;  pas  une  seule  qui  ne  lui  ait  sug- 
géré quelques  vues  neuves,  et  quelques  procédés  parfaits.  Ici,  l'intérêt  de 
sa  gloire  me  défend  également  de  rien  vous  taire,  et  de  tout  vous  dire. 
Comment  présenter,  en  effet,  ou  commeut  dérobera  votre  admiration 
cette  suite  presque  infinie  de  faits  curieux,  singuliers,  étonnanis,  et  ces 
inventions  ingénieuses , et  ces  pratiques  heureuses  et  hardies,  qui  font 
tout  ensemble  le  charme  et  le  prix  de  ses  Mémoires?  Étrange  alternative  ! 
Larrey,  dans  cet  éloge,  semblerait  s’appauvrir  par  sa  propre  richesse. 
Dans  les  langueurs  de  son  génie,  un  poète  invoque  les  muses.  Il  est 
des  muses  que  j’invoquerai  à son  exemple  : votre  indulgence  et  votre 
respect  pour  la  mémoire  de  Larrey.  Elles  m’applaudiront  d’abréger  mon 
travail , et  de  réserver  pour  vos  mémoires  ces  grandes  leçons  de  chi- 
rurgie que  Larrey  donnait  à ses  contemporains , et  qui  feront  vivre  son 
nom  dans  la  postérité.  La  postérité  le  bénira  surtout  d’avoir  créé  ses  am- 
bulances ; d’avoir  tranché , sans  retour,  entre  Faure  et  Boucher,  la  ques- 
tion fondamentale,  touchant  l’excellence  de  l’amputation  primitive,  dans 
les  grandes  plaies  par  les  armes  à feu;  d’avoir  tiré  de  l’oubli  les  appa- 
reils inamovibles;  et  d’avoir  enseigné,  par  l’emploi  du  feu,  que  le 
comble  de  l’art  serait  de  déplacer  à souhait  les  principes  des  mala- 
dies, et  de  leur  ouvrir  à l’extérieur  une  issue  qui  en  dissiperait  les  élé- 
ments. 

Nous  touchons,  messieurs,  au  dernier  acte  de  la  vie  de  Larrey;  au 
dernier  acte  de  ce  grand  drame,  illustré  partant  de  travaux  utiles  et 
d’actions  glorieuses,  et  traversé  par  tant  de  fatigues  et  de  péripéties.  Plus 
que  septuagénaire , son  activité,  loin  de  s’éteindre,  semblait  croître  avec 
les  années.  On  lui  avait  ôté  nue  de  ses  fonctions,  celle  qu’il  eût  préférée 
à toutes  les  autres.  Il  ne  pouvait  supporter  le  loisir  qu’on  lui  avait  fait; 
c’était  comme  une  injure  qu'il  brûlait  de  laver  par  de  nouveaux  services. 
Que  ne  peut  l’habitude,  et  surtout  1 habitude  de  faire  le  bien  ! En  1 84 1 , il 
sollicite  l’honneur  d’inspecter  les  hôpitaux  de  l’Algérie.  Il  en  reçoit  en 
iSja  la  mission  officielle.  Le  i5  mai,  il  quitte  Paris  avec  son  fils,  qu’il 
a pris  pour  secrétaire.  Le  20,  il  est  à Toulon,  le  2.3  à Alger;  et  du  24  au 
1er  juillet,  c’est-à-dire  en  cinq  semaines,  il  a visité  toutes  les  villes  du  lit- 
toral , toutes  les  villes  de  l’intérieur  et  tous  les  hôpitaux  , jusque  dans  les 


XXVIII 


ÉLOGE 


moindres  détails.  Son  fils  recueille  sur  les  hommes  et  les  choses , sur 
les  abus  à réprimer  et  les  améliorations  à faire,  des  notes  qui  font  le 
texte  d’un  rapport  au  ministre.  Parmi  les  zouaves  de  la  Maison-Carrée  , 
Larrey  retrouve  un  ancien  mamelouk  de  l’Egypte.  Des  deux  parts,  éclair 
de  bonheur.  A Bone  , il  pratique  sur  un  Arabe  l’amputation  de  l’avant- 
bras,  que  rendait  nécessaire  un  poiguet  mutilé.  C’est  la  dernière  opération 
qu’il  ait  faite.  Ce  dernier  voyage  ne  fut  pour  lui  qu’une  suite  de  triomphes. 
A Alger,  à Oran , à Philippeville,  à Constautine,  partout,  comme  en 
Irlande , en  Ecosse  , en  Angleterre  , en  Italie,  il  reçoit  les  hommages  de 
la  chirurgie  militaire  et  les  empressements  des  autorités.  J’ajoute  que  ce 
fut  aussi  pour  lui  une  rapide  succession  de  fatigues  excessives  et  d’émo- 
tions profondes , qui  ébranlèrent  jusque  dans  ses  fondements  cette  consti- 
tution jusque  là  si  vigoureuse  et  si  ferme.  Le  5 juillet , il  repart  pour  la 
France,  emportant  avec  lui  le  trait  fatal.  Un  catarrhe  qui  lui  est  habi- 
tuel s irrite,  s’élève  et  menace.  Il  débarque  à Toulon;  on  consulte;  on 
reconnaît  une  pneumonie  grave.  Des  soins  et  du  repos  présagent  la  gué- 
rison ; mais  il  fallait  attendre;  Larrey,  impatient,  brusque  tout  et  part(i). 
A Avignon,  le  mal  est  plus  grand.  Sourd  aux  tendres  supplications  de  son 
fils  et  aux  vives  prières  de  son  ami  Gouraud,  Larrey  n’y  reste  que  trois 
jours;  et  le  9.4,  il  arrive  à Lyon  , dans  un  état  désespéré  d’épuisement  et 
de  iaiblesse.  Des  médecins  sont  appelés.  La  mort  avait  déjà  la  main  sur 
cette  noble  proie.  Le  25,  dans  la  matinée,  une  lettre  de  Paris  apprend  à 
son  fils  que  sa  mère  n’existe  plus;  et  le  soir,  à cinq  heures,  Larrey  lui- 
même  a cessé  d’exister. 

Ainsi  disparut  du  monde  cet  homme  intrépide,  laborieux,  vigilant, 
infatigable , qui  ne  respirait  que  pour  être  utile  aux  hommes  : cœur  gé- 
néreux, cœur  ouvert,  qui  se  donnait  tout  entier  aux  malheureux,  sans 
autre  intérêt  que  le  bonheur  d’exercer  son  inépuisable  pitié;  plein  de 
tendresse  pour  les  siens  ; et  par  ce  mot, j’entends  non  seulement  les  ma- 


(1)  Voici  pourquoi  Larrey  hâtait  son  retour  avec  tant  de  vivacité.  Lorsqu’il  partit,  sa 
femme  était  malade;  cette  maladie  fit  bientôt  des  progrès  alarmants.  Larrey  le  savait.  Il 
lui  semblait  que  sa  femme  l’appelait,  pour  qu’il  recueillît  ses  derniers  soupirs.  Jamais  cœur 
d’homme  n’eut  pour  sa  famille  un  plus  tendre  attachement.  De  1805  à 181A , au  milieu 
de  ses  extrêmes  fatigues , Larrey  trouva  toujours  le  temps  de  donner  à sa  fille,  aujourd’hui 
madame  Pétier,  les  plus  touchants  témoignages  de  souvenir.  Ces  témoignages,  madame 
1 ericr  les  conserve  avec  une  piété  religieuse. 


DE  J.-D.  LARREY. 


XXIX 


Jades  et  les  blessés  que  lui  donnait  la  guerre,  et  qu’il  traitait  avec  tant 
de  sollicitude,  mais  encore  ses  propres  auxiliaires  , comme  s’il  en  eût 
formé  pour  lui-même  une  famille  toujours  nouvelle  et  toujours  aussi 
chère  : s’oubliant  sans  cesse  pour  eux , comme  M.  Gasc,  comme  plusieurs 
d’entre  vous.  MM. Bégin , Emery,  Therrin , Jourdan , Gaultier  de  Clau- 
bry,  Poirson  , Lagneau,  etM.Ferrus  lui-même,  en  ont  été  si  souvent  les 
heureux  témoins;  n’ayant  de  douleurs  que  leurs  douleurs , et  n’en  éprou- 
vant pour  lui-même  jusqu’au  transport  que  lorsqu’il  les  supposait  privés 
des  moindres  secours;  et  qui,  enfin,  enveloppé  dans  ces  événements 
pleins  de  gloire  qui  seront  l’éternel  étonnement  de  la  postérité,  y a tenu 
sa  place  avec  dignité,  et  a été  grand  parmi  les  grands.  Larrey  était 
membre  de  l’Institut  de  France,  comme  il  lavait  été  de  l’Institut  d’É- 
gypte. Il  appartenait  à toutes  les  Académies  d’Europe  et  d’Amérique.  Il 
appartenait  à la  vôtre,  messieurs,  et  lorsque  cette  Académie  était  divisée 
en  trois  sections,  il  n’a  presque  pas  été  une  séance  de  la  section  de  chi- 
rurgie où  Larrey  n’ait  mis  sous  vos  yeux  quelques  beaux  résultats  de  ses 
études  et  de  ses  opérations.  De  combien  de  pièces  importantes  n’a-t-il  pas 
enrichi  les  musées  d’anatomie  pathologique!  Il  serait  superflu  de  rap- 
peler ici  tous  ses  titres;  mais  il  en  est  un  que  je  ne  peux  passer 
sous  silence,  c’est  celui  d’honnête  homme,  c’est  celui  d’homme 
vertueux,  dont  l’a  décoré  le  testament  de  Napoléon.  Quel  éloge! 
et  dans  quelle  bouche  ! Ce  titre  n’est-il  pas  supérieur  à toutes  les  digni- 
tés? On  dirait  qu’honorer  la  vertu  dans  la  personne  de  Larrey  a été 
la  dernière  pensée  de  l’Empereur.  Honorer  la  vertu!  Pensée  digue  d’un 
prince  qui  connaît  tout  le  vrai  fond  des  choses  humaines.  C’est  qu’en 
effet  rien  n’est  plus  nécessaire  aux  hommes  que  la  vertu.  C’est  par  la 
vertu  que  les  sociétés  subsistent.  Otez  du  milieu  des  hommes  la  vertu  , la 
probité,  la  foi  réciproque,  cette  foi  qu’adoraient  les  Romains,  il  n’est 
plus  rieu  de  noble , il  n’est  plus  rien  d’assuré  dans  les  affaires  de  ce 
monde,  et  le  genre  humain  lui-même  s’anéantit.  Il  est  un  autre  mot  de 
l’Empereur  qu’a  rappelé  G.  Breschet,  et  que  je  dois  rappeler  : « Si  jamais 
1 armée  élève  un  monument  à la  reconnaissance,  c’est  à Larrey  quelle 
doit  le  consacrer.  » Le  monument  s’achève  : il  va  paraître  sous  les  aus- 
pices de  l’armée  et  delà  France;  il  sera  digne  de  Larrey  : il  sort  du  ci- 
seau ou  plutôt  du  génie  de  David. 


XXX 


ÉLOGE 


FRAGMENT  OMIS  A LA  LECTURE  PUBLIQUE. 

A l’égard  de  la  lèpre,  si  les  récits  que  l’on  m’a  faits  en  Orient  ont  été 
fidèles,  la  vraie  lèpre  de  Moïse  aurait  à peu  près  disparu  du  monde. 
Un  médecin  fort  éclairé,  que  j’ai  connu  en  Chypre,  n’en  avait  rencontré, 
dans  une  pratique  de  dix-huit  ans,  qu’un  seul  exemple.  La  lèpre  que 
décrit  Larrey  n’aurait  avec  celle  de  Moïse  que  des  rapports  fort  éloignés; 
elle  en  aurait  de  plus  intimes  avec  leléphantiasis.  Ces  deux  maladies 
auraient  les  mêmes  causes  ; elles  seraient  l’une  et  l’autre  héréditaires; 
elles  auraient  dans  leurs  premières  apparences  de  grands  points  de  simi- 
litude; mais,  bien  que  stationnaires  dans  les  mêmes  contrées,  cependant 
l’éléphantiasis  affecterait  plutôt  les  lieux  bas  et  humides,  tels  que  les 
bords  de  la  mer  ; et  la  lèpre,  les  lieux  élevés,  secs,  et  même  déserts,  de 
la  Haute-Egypte.  À ces  différences  s’en  joindraient  d’autres.  Dans  l’élé— 
phantiasis,  les  extrémités  prennent  une  tuméfaction  prodigieuse,  entre- 
coupée d’étranglements  et  d’atrophies;  dans  la  lèpre,  les  pieds,,  les 
mains,  les  jambes,  les  bras,  se  détachent  et  tombent  comme  dans  les 
maladies  de  l’ergot.  Enfin  l’éléphantiasis  ne  se  transmet  point  par  con- 
tagion ; la  lèpre  au  contraire  est  contagieuse,  selon  Larrey;  elle  l’est  sur- 
tout par  les  vêtements,  comme  l’est  la  peste,  comme  l’aurait  été  la  lèpre 
de  Moïse  ; mais,  il  faut  l'avouer,  elle  ne  le  serait  que  très  rarement.  Eu 
Chypre,  dans  le  Liban,  cette  transmission  serait  démentie  par  lexpé- 
rience.  Au  reste,  les  contagions,  sur  cette  question  si  complexe  et  si  sou- 
vent agitée  , quelle  est  encore  , sinon  l'ignorance,  du  moins  l’incertitude 
des  médecins! 

Jusqu’où  ne  va  point  cette  incertitude?  L’ophthalmie  semble  avoir 
pour  patrie  1 Egypte.  Elle  y était  des  milliers  d’années  avant  la  peste; 
elle  est  encore  le  premier  objet  que  rencontre  le  voyageur.  Ceux  de  nos 
médecins  qui  en  ont  marqué  la  nature  et  les  causes,  Bruant,  Savaresi, 
Desgenettes,  Louis  Frank,  et  Larrey  lui-même,  en  parlent  diversement. 
Du  reste,  en  Egypte,  pas  de  hameau,  de  village,  de  bourg,  de  ville  qui 
n olfre  à chaque  pas  des  yeux  enflammés , gonflés,  altérés , éraillés,  défor- 
més, crevés,  perdus.  Une  extension  si  grande  ferait  entrer  dans  l’esprit 
que  ce  mal  esL contagieux.  L’est-il  en  effet?  Larrey  ne  s’en  explique  pas; 
mais,  en  Egypte,  entrez  avec  des  yeux  sains  dans  le  réduit  d’un  oph- 


DE  J -D.  LARREY. 


XXXI 


thalmique,  vous  on  sortez  avec  des  yeux  malades.  Toutefois,  le  mal 
franchit-il  les  limites  de  l'Égypte  pour  se  répandre  au  loin,  comme  la 
peste?  Antre  point  en  litige.  Que  se  passait-il  sous  saint  Louis  lorsqu'il 
institua  les  Quinze-Vingts  ? On  l’ignore.  Attachons-nous  à ce  que  nous 
avons  vu.  Rapprochons  les  faits,  les  lieux,  les  dates.  En  1801,  les  armées  de 
France  et  d’Angleterre  sont  en  Egypte;  elles  ont  des  ophthalmies;  elles 
quittent  l’Égypte  pour  rentrer  en  Europe  ; l’ophthalmie  marche  avec 
elles,  on  la  voit  à Malte,  à l’île  d’Elbe,  à Gibraltar,  dans  des  villes 
d'Espagne,  de  Sicile,  d’Italie,  d’Angleterre.  Elle  se  montre  avec  les 
armées,  presque  partout,  jusque  dans  la  Hongrie  et  la  Pologne.  Enfin 
par  le  déplacement,  le  mélange,  la  fusion,  la  dispersion  des  armées  , les 
soldats  de  presque  toutes  les  nations,  Russes,  Prussiens,  Autrichiens, 
Bavarois,  Hollandais , Suédois,  Anglais,  Belges,  ont  l’ophthalmie,  et, 
tandis  que  la  France  est  épargnée,  c’est  dans  une  contrée  limitrophe, 
c’est  en  Belgique  que,  pendant  trente  années,  elle  a déployé  tous  scs 
maléfices.  Mais  cette  ophthalmie  est-elle  l’ophthalmie  d’Egypte?  Elle 
en  a tous  les  caractères,  et  ces  caractères  en  font  une  maladie  tout  autre 
que  les  ophthalmies  connues  : aussi  est-elle  pour  la  Belgique  une  ma- 
ladie nouvelle.  Est-elle  réellement  contagieuse  ? Elle  l’est  à ce  point 
que  pour  la  contracter  il  suffit,  comme  en  Egypte,  d’entrer  dans  l’atmo- 
sphère d’un  ophthalmique;  à ce  point  qu’un  navire  qui  a transporté  des 
ophthalmiques  donne  l’ ophthalmie  aux  passagers  qui  leur  succèdent. 
Enfin,  est-ce  de  l’Egypte  qu’elle  est  venue?  Où  serait  la  merveille  de 
voir  en  Europe  ce  qu’on  voit  en  Amérique?  La  même  ophthalmie  est 
portée  au  Brésil  par  des  noirs  d’Afrique,  et  les  noirs  d’Afrique  la  reçoi- 
vent de  l’Egypte  par  des  communications  intérieures.  L’ophthalmie  de 
Crimée  a-t-elle  la  même  source?  Quoi  de  plus  probable?  Est-ce  que  la 
Crimée  est  absolument  étrangère  à l’Egypte?  et  serait-il  si  extraordinaire 
qu  après  avoir  répandu  ses  sciences  dans  le  monde,  l'Egypte  y répandit 
maintenant  ses  maladies  ? Qu’auraient  d’étrange  ces  migrations,  après 
celles  du  choléra?  De  peuple  à peuple,  le  mat  et  le  bien  se  précipitent 
ou  se  traînent  également  sur  le  globe.  Née  en  Chine,  l'inoculation  n’est 
venue  jusqu’à  nous  qu’après  des  siècles  , à travers  la  Tartarie  et  l’Europe. 
La  variole,  qui  a fait  inventer  l’inoculation,  serait  peut-être  originaire 
de  la  Chine  plutôt  que  de  l’Arabie.  N’oublions  pas  que  dès  les  premiers 
siècles , et  sans  doute  dans  des  temps  antérieurs , l’orient  et  l’occident  de 
l’Asie  étaient  liés  par  le  commerce  de  terre  et  de  mer.  Le  pouvoir  de  la 


XXXII  ÉLOGE 

Chine  s’est  étendu  jusqu’à  la  mer  Caspienne;  elle  communiquait  avec  la 
Perse,  l’Arabie  et  l'Égypte.  Du  reste,  il  faut  l’avouer  à l’égard  de  l’oph- 
thalmie,  au  milieu  des  nations  qui  en  étaient  affectées,  l’immunité  de  la 
France  autorisait  à rejeter  tonte  idée  de  contagion.  Larrey  n’y  croyait 
pas.  J’achève.  Dans  toute  contagion  , il  est  un  point  initial  qu’il  faut  con- 
naître et  détruire;  en  détruisant  la  peste,  ne  détruirez- vous  pas  l’oph- 
thalmie  ? Ce  qui  se  passe  dans  une  ville  du  Japon  justifierait  mes  paroles. 

J’insisterai  peu  sur  la  colique  de  Madrid , sorte  d’endémie  très  limitée, 
particulière  à une  seule  ville,  sur  les  causes  et  la  nature  de  laquelle  on 
n’a  pas  été  moins  partagé;  qui  ne  dépend  d’aucune  inflammation  viscé- 
rale; qui  semble  tenir  de  la  colique  de  plomb  et  du  choléra-morbus, 
aussi  douloureuse  que  la  première , moins  dangereuse  que  l’une  et  l’autre, 
et  dont,  s il  en  faut  ci  oii  e ce  que  me  faisait  1 honneur  de  me  dire  à IVIa- 
drid,  quelques  années  plus  tard,  l’illustre  Luzuriaga,  Madrid  serait  pour 
jamais  délivrée. 

Laney  a ti anche  sans  retour,  entre  Faure  et  Boucher,  une  question 
fondamentale  pour  la  chirurgie  militaire.  11  a découvert  par  les  faits, 
t est-à-dii c pai  1 évidence  même,  que,  dans  les  grandes  plaies  par  les 
ai  mes  a feu,  i amputation  primitive  1 emporte  sans  comparaison  sur  l’am- 
putation consécutive;  il  a marqué  les  indications  précises  qui  rendent 
nécessaire  cette  amputation  primitive. 

Pour  1 amputation  du  bras  dans  l’articulation  scapulo-bumérale,  il  a 
mis  en  pratique  au-delà  d une  centaine  de  fois  un  procédé  de  son  inven- 
tion, le  meilleur  peut-être  que  l’on  connaisse,  et  duquel  il  a obtenu  des 
succès  remarquables.  A Wagram  seulement,  sur  quatorze  cas  il  a réussi 
douze  fois.  Pour  l’amputation  coxo-fémorale,  il  a employé  le  premier  un 
procédé  analogue. 

1 o u tes  les  fois  qu’il  est  possible  d’amputer  la  jambe  dans  l’épaisseur 
des  condyles  du  tibia  , et  il  enseigne  à reconnaître  cette  possibilité,  il  a 

montré  que  cette  amputation  est  préférable  à celle  de  la  cuisse  ou  du 
genou. 

Ln  membre  est-il  affecté  de  gangrène  traumatique,  n’attendez  pas 
pour  amputer  que  le  sphacèle  soit  limité  : moins  il  reste  de  parties  mortes . 
plus  la  vie  reprend  de  chaleur  et  d’action. 

J’ai  parlé  de  ses  ambulances  volantes  : d’où  célérité  des  premiers 
soins;  d’où  sécurité  contre  les  premiers  accidents  des  plaies,  et  spéciale- 


DE  J.-D.  LARREY. 


XXXIII 


menl  contre  les  hémorrhagies;  d’où  enfin  sentiment  de  confiance  et  de 
protection  mis  dans  le  cœur  du  soldat. 

Il  ne  veut  pas  qu’on  réunisse  immédiatement  les  plaies  par  amputa- 
tion, ni  qu’on  lève  trop  tôt  le  premier  appareil;  il  veut  qu’on  donne  au 
moignon  une  situation  où  il  jouisse  d’un  parfait  repos. 

A l’égard  des  pansements,  dès  ses  premières  campagnes  et  toujours, 
il  a préconisé  l’application  du  linge  fenêtré.  Manquait-il  de  charpie,  de 
compresses,  de  bandes,  de  pièces  d’appareil?  il  y suppléait  par  du 
chanvre,  de  la  mousse,  du  drap,  et,  comme  je  l’ai  dit,  par  son  propre 
linge.  Ses  exemples  sont  des  leçons  de  chirurgie  et  de  bonté. 

Il  veut  de  plus  que  les  pansements  soient  rares.  Après  le  premier,  et 
je  dois  dire  l’unique  pansement  d’un  bras  amputé,  des  blessés  ont  fait  à 
pied  le  chemin  de  Russie  et  de  Pologne  en  France,  et  sont  arrivés  gué- 
ris. Ils  n’avaient  rien  changé  à leur  appareil  : seulement,  de  temps  à 
autre,  ils  avaient  eu  soin  d’en  absorber  l’humidité  avec  une  éponge. 

C’est  sur  ce  principe  que,  pour  le  traitement  des  fractures,  il  a tiré 
de  l’oubli  l’heureux  principe  de  l’immobilité  dans  les  plaies.  11  les  a fait 
construire,  ces  appareils  inamovibles,  qui  sont  un  des  plus  grands  bien- 
faits qu’ait  reçus  la  chirurgie  militaire,  et  que  la  chirurgie  civile  a géné- 
ralement adoptés. 

11  a fait  voir  que  la  reproduction  ou,  si  l’on  veut, la  consolidation  des 
os  est  surtout  l’œuvre  des  vaisseaux  sanguins;  œuvre  de  laquelle  toutefois 
on  ne  saurait  exclure  cette  force  invisible  qui  vivifie  tout,  et  qui,  pour 
une  nouvelle  ostéogénie,  emploie  selon  ses  vues  les  matériaux  de  con- 
struction qu’ont  apportés  les  vaisseaux. 

Dans  les  plaies  compliquées  d’accidents  inflammatoires  ou  de  suppu- 
rations profondes,  spontanées  ou  entretenues  par  des  corps  étrangers, 
il  faisait  des  débridements , des  incisions,  des  contre-ouvertures,  qui 
dénouaient  les  difficultés  et  faisaient  marcher  à la  guérison. 

Pour  les  plaies  de  tête,  Larrey  marque  avec  précision  le  traitement 
quelles  exigent,  et  surtout  les  cas  qui  nécessitent  le  trépan.  Dans  l’oc- 
clusion des  ouvertures  du  crâne,  il  montre  que  la  dure-mère  n’entre 
pour  rien  dans  cette  opération  naturelle. 

Un  coup  de  sabre  abat  un  nez,  et  laisse  au  milieu  du  visage  une  plaie 
hideuse.  On  peut  la  masquer  par  l’artifice  et  les  bésicles  d’Arson  et  Boulu  ; 
on  peut  la  couvrir  par  la  peau  du  front.  Larrey  fait  mieux  : il  prend  la  peau 
des  joues  ,1  attire  des  deux  côtés , la  joint,  l’assujettit  par  des  sutures,  et  1^ 


XXXIV 


ELOGE 


soutient  élevée  par  des  appuis  de  gamme  élastique.  Le  nez  est  refait,  et 
la  cicatrice  n’est  qu’une  ligne  à peine  perceptible. 

A propos  des  blessures  graves  de  la  face,  il  indique  avec  netteté  com- 
ment se  cicatrisent  les  parties  molles,  telles  que  la  peau  et  les  muscles, 
et  les  parties  dures,  telles  que  les  os  maxillaires. 

Que  ne  puis-je,  messieurs , vous  entretenir  des  étranges  plaies  que 
reçurent  dans  la  région  du  cou  Murat, jArrigbi  et  quelques  autres!  Arri- 
ghi,  qui  eut  une  artère  coupée;  Murat,  qui  perdit  la  moitié  de  l’épi- 
glotte. Mais  M.  Duméril  en  a suffisamment  parlé  dans  son  rapport  à 
l’Institut,  et  j’ai  hâte  de  passer  aux  blessures  de  la'poitrine. 

Aux  plaies  qui  pénètrent  dans  cette  cavité,  s’associent  ou  succèdent 
quelquefois  des  accidents  que  Larrey  apprécie  avec  sagacité , particu- 
lièrement l’emphysème  traumatique,  dont  les  planches  de  sou  ouvrage 
renferment  une  image  effrayante:  aussi  prescrit-il  de  fennersur-le-champ 
les  plaies  du  thorax.  lies  signes,  les  effets,  les  suites  des  épanchements, 
il  les  expose  d’une  manière  neuve  et  rationnelle;  et  les  succès  qu’il  ob- 
tient dans  l'opération  de  l’empyème  , par  un  procédé  qui  lui  est  propre  , 
l’autorisent  à vanter  et  le  procédé  et  l’opération. 

Je  ne  puis  tout  dire,  messieurs,  et  je  voudrais  ne  rien  taire  pour 
épargner,  à moi  la  honte,  et  à vous  1 ennui  d’une  énumération  si  sèche  et 
si  maigre  de  tant  de  précieux  travaux  (car,  dans  cet  éloge, Larrey  semble 
s’appauvrir,  moins  encore  par  mon  incapacité  que  par  sa  propre  ri- 
chesse); souffrez  que  je  vous  renvoie  à ce  qu  il  vous  dira  lui-même  dans 
son  grand  ouvrage  sur  les  plaies  pénétrantes  de  l’abdomen  , et  les  lésions 
de  chacun  des  viscères  abdominaux;  sur  plusieurs  affections  des  voies 
urinaires , et  spécialement  de  la  vessie  ; organe  si  diversement  blessé  par 
les  armes  à feu  , et  dans  lequel  ne  stationnent  que  trop  souvent  des  corps 
étrangers,  des  balles,  des  os,  des  caillots  de  sang,  des  calculs  de  natures 
et  de  formes  si  variées;  sur  un  mode  d’opération  si  ingénieux  et  si  simple 
de  la  fistule  anale;  sur  les  moyens  de  traiter  diverses  maladies  des  or- 
ganes génitaux;  sur  le  traitement  de  l’hydrocèle  par  le  séjour  d’une  sonde 
élastique;  sur  quelques  maladies  de  la  colonne,  le  rachitis  proprement 
dit,  le  mal  vertébral  et  les  abcès  par  congestion. 

Du  reste,  messieurs,  vous  le  savez,  le  fer  et  le  feu  étaient  dans  les 
mains  de  Larrey  les  instruments  de  cette  mâle  chirurgie  qu’il  voulut 
laire  revivre.  La  médecine  la  plus  ancienne,  celle  de  son  fondateur  et  de 
tous  les  chefs  de  sectes  , les  nomades  des  pays  froids  et  des  pays  chauds , 


DE  J.-D.  LARREY. 


XXXV 


les  Arabes  du  désert , les  Scythes,  les  Sarmates  d'IIippocrate  et  les  Li- 
byens d’Hérodote,  aussi  bien  qne  les  Ostiaks  de  nos  jours  ; enfin  tout 
l’ancien  monde,  la  Chine,  l’Inde , le  Japon , et  surtout  l’Égypte,  lui  don- 
naient l’exemple  : cette  Égypte  si  bien  étudiée  par  Prosper  Alpin,  cette 
Égypte  si  bien  connue  de  Larrey,  son  disciple  et  son  imitateur.  Avec  le 
fer  rouge  il  limite  et  détruit  l’érysipèle  traumatique;  il  ouvre  les  vastes 
abcès  pblegmoneux,  et  ces  abcès  par  congestion  dont  je  parlerai  tout- 
à-l’heure;  le  feu  qu’il  y porte  raffermit  toute  l’organisation,  et  arrête 
les  hémorrhagies  graves  que  ne  peuvent  arrêter  les  ligatures.  Avec  la 
mèche  enflammée  ou  le  moxa,  il  combat  l’ophthamie,  l’amaurose,  les 
névralgies  et  les  paralysies  traumatiques,  et  la  coxalgie  fémorale;  der- 
nière affection  sur  laquelle  il  a laissé  des  remarques  dignes  d’être  médi- 
tées par  tous  les  praticiens.  Enfin,  par  le  moxa,  il  a guéri  des  ané- 
vrismes profonds , comme  on  guérit  en  Égypte  jusqu’au  sarcocèle,  et  par 
là  il  apprend  que  le  comble  de  l’art  serait  de  déplacer  à souhait  les 
principes  des  maladies,  et  de  leur  ouvrir  à l’extérieur  une  issue  qui  en 
dissiperait  les  éléments. 


D.-J.  LARREY  a publié  : 

ï.  Mémoire  sur  les  amputations  des  membres  à la  suite  des  coups  de  feu  , étayé  de  plu- 
sieurs observations.  Paris,  1797.  Thèse  in-à.  * 

II.  Relation  historique  et  chirurgicale  de  l’expédition  de  l’armée  d’Orient,  en  Égypte  et 
en  Syrie.  Paris,  1803,  in-8. 

III.  Mémoire  sur  la  plique,  inséré  dans  les  Mémoires  de  l'Institut  [savants  étrangers). 
Paris,  1811,  tome  II,  in-4. 

IV.  Mémoires  de  médecine  et  de  chirurgie,  et  campagnes  militaires.  Paris,  1812-1818. 
k volumes  in-8. 

V.  Considérations  sur  la  fièvre  jaune.  Paris,  1821,  in-8  de  36  pages. 

VI.  Recueil  de  mémoires  de  chirurgie.  Paris,  1821 , in-8  de  320  pages  avec  quatre 
planches.  Ce  volume  contient  : De  l’usage  du  moxa  ; — mémoire  sur  le  siège  et  les 
effets  de  la  nostalgie;  — notice  sur  les  propriétés  de  la  membrane  iris  ; — notice  sui- 
tes plaies  des  intestins;  — mémoire  sur  la  rupture  du  col  du  fémur. 

VII.  Mémoire  sur  les  plaies  pénétrantes  de  la  poitrine , inséré  dans  les  Mémoires  de 
l'Académie  royale  de  médecine.  Paris,  1828,  tome  Ier,  page  221  à 250,  in -k. 


XXXVI  OUVRAGES  PUBLIÉS  PAR  D.-J.  LARREY. 

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VIII.  Clinique  chirurgicale,  exercée  particulièrement  dans  les  camps  et  les  hôpitaux 
militaires  depuis  1792-1826.  Paris,  1829,  1832,  1836.  — 5 volumes  in-8  avec  deux 
atlas  contenant  quarante-sept  planches. 

IX.  Mémoire  sur  le  choléra  morbus.  Paris,  1831,  in-8  de  Zi8  pages. 

X.  Relation  médicale  de  campagnes  et  voyages  de  1815  à 18A0  , suivie  de  notices  sur  les 
fractures  des  membres  pelviens,  sur  la  constitution  physique  des  Arabes,  et  d’une 
statistique  chirurgicale  des  officiers  généraux  blessés  dans  les  combats , et  pansés  sur 
les  champs  de  bataille.  Paris,  18A1,  in-8  de  A00  pages. 

Indépendamment  de  ses  ouvrages,  D.-J.  Larrey  a publié  un  grand  nombre  de 
mémoires  et  d’articles  dans  le  Bulletin  de  la  Faculté  de  médecine , dans  le  Diction- 
mire  des  sciences  médicales,  le  Journal  complémentaire  des  sciences  médicales , la 
Description  de  l’Égypte,  les  Mémoires  de  l’Institut,  le  Recueil  de  mémoires  de  mé- 
decine et  de  chit'urgie  militaires , etc. 

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Paris.  — Irnpr.  de  Bourgogne  et  Martinet,  rue  Jacob,  30.